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Erik Rémès ou la position de l'homo debout

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Pierre Sadulcci

Pierre Sadulcci (écrivain) 0000-00-00

Le site de l’écrivain Pierre Sadulcci (http://www3.sympatico.ca/salducci/) Serial fucker, journal d'un barebacker

de Erik Rémès Critique de Pierre Sadulcci

Dans la nuit du 13 au 14 avril 2003, les locaux des éditions Blanche, à Paris, ont été saccagés par des membres d’Act Up en réaction à la publication du nouveau roman de Erik Rémès : Serial Fucker, journal d’une barebacker. Des affiches où on pouvait lire « Les éditions Blanche veulent notre mort » et « Franck Spengler complice du sida » ont été placardées sur tous les murs. Une des personnes qui travaillait là a été prise à partie et il a fallu lui donner plusieurs jours d’arrêt pour se remettre. C’est dire la violence des réactions que peut provoquer ce livre.

Dans ce troisième roman, comme dans les deux précédents, Erik Rémès s’est inventé un double autofictionnel qu’il appelle Berlin Tintin et que nous suivons au fil de ses aventures dans le milieu gai parisien. Berlin Tintin est séropositif et c’est l’occasion pour Erik Rémès de nous livrer ses réflexions sur la séropositivité tout en observant l’évolution des mouvements de lutte contre le vih-sida. Erik Rémès fait partie de ces auteurs de la nouvelle génération sida qui n’ont pas peur des mots et des idées. Tout comme Guillaume Dustan, il pratique le bareback et en parle ouvertement. Ce faisant, il s’oppose à la conception de la prévention qui impose l’usage du préservatif dans toutes les relations sexuelles et nous ouvre de nouvelles voies de réflexion.

Dès le début du livre, Erik Rémès adopte un ton différent du discours habituel. Au lieu de se présenter en victime du vih, il cherche le côté positif de sa situation et affirme par exemple : « le sida m’a apporté la paix ». Comme toute les personnes atteintes, il a d’abord reçu un choc dont il a dû se remettre, mais par la suite, il s’est aperçu que le sida a été une chance dans sa vie. Il vit la séropositivité comme une libération, surtout une libération sexuelle, et il nous explique pourquoi et comment.

Erik Rémès conteste beaucoup l’approche habituelle de la prévention. Pour lui, « les années prévention correspondent à un discours morbide et culpabilisant », dans la mesure où on ne cesse de présenter les personnes séropositives comme des criminels en puissance et de les comparer à des « grenades sexuelles ».

Il n’accepte pas que les personnes séropositives soient désignées comme les seules responsables de la contamination, comme s’il s’agissait de coupables. Il rappelle que plusieurs personnes dans différents pays ont essayé de criminalisé la transmission du virus mais que, dans la majorité des cas, ces tentatives ont échoué, ce qui prouve que, sur un plan législatif, ce raisonnement ne tient pas.

Erik Rémès rappelle avant tout que « chacun est responsable pour soi ». Il dit surtout qu’on ne peut pas imposer l’usage du préservatif dans tous les cas. Il comprend que deux personnes séronégatives n’en mettent pas et que deux personnes séropositives n’en mettent pas non plus. Il souligne qu’aujourd’hui encore la théorie de la surcontamination entre personnes séropositives n’a toujours pas été prouvée scientifiquement. À ses yeux, cela démontre qu’on impose encore trop souvent l’usage du préservatif de façon excessive, en agissant uniquement en fonction de nos peurs et en culpabilisant une fois de plus les personnes atteintes.

Le relâchement des attitudes face à la prévention montre bien que les gens n’associent plus forcément le vih à la mort, ce qui est normal. Erik Rémès explique que « les pédés ont toujours baisé comme ils voulaient. Ils se sont toujours joués de la morale et des répressions. Ils ne supportent pas qu’on leur dise

comment baiser et comment se comporter. » Il faut donc inventer une nouvelle approche et un nouveau discours. Dans Serial fucker, Erik Rémès cite les résultats d’une récente enquête sur les clients des backrooms de Paris qui révèle « qu’un tiers des répondants déclare des relations anales non protégées. Ça monte à près de 40 % chez les moins de 25 ans ». Visiblement, les comportements changent plus vite que les discours officiels et les chiffres montrent bien qu’il ne sert à rien de se fermer les yeux. Erik Rémès illustre magnifiquement que l’obsession qui consiste à chercher des coupables et à les punir n’a pas abouti aux résultats escomptés.

Partant de là, Erik Rémès ouvre tout grand les portes du bareback, c’est-à-dire des relations sexuelles non protégées. Pour lui, il s’agit aussi de tenir compte de la liberté des personnes séropositives à disposer d’elles-mêmes, de leur corps et de leur sexualité. Il écrit par exemple : « Il suffit parfois d’aimer pour vouloir tout partager. Même son virus. Si certains veulent tout partager, même leur sida, c’est leur liberté. »

Le barebacking désigne le culte des rapports non protégés, il signifie littéralement « chevauchée à cru ». À la différence du relapse, qui se présente plutôt comme un relâchement exceptionnel et d’une certaine manière involontaire, le bareback correspond à un choix revendiqué et assumé. Il peut inclure également le culte du sperme. Pour les barbackers, les préservatifs empêcheraient de bander. Ils seraient le symbole de la honte de soi et de la haine du sexe. Ce mouvement correspondrait également au ras-le-bol du safe-sex après vingt ans de prévention radicale. Il constitue ainsi une forme de retour au naturel et au plaisir sans contrainte.
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Pris à partie plusieurs fois par les associations et par certains individus, Erik Rémès a profité de Serial killer pour publier sa position officielle face au bareback. La voici :

« Je ne suis pas un prosélyte du barebacking. Mon combat se situe au niveau de la liberté et de la responsabilité individuelle. Je suis contre toute répression de la sexualité et des libertés individuelles, surtout par la culpabilité, la honte, la morale et la terreur. Le rôle de l’écrivain est aussi de mettre en garde, de poser des questions violentes. Face à l’irrationalité du sexe, il s’agit donc de ne pas avoir de position trop tranchée, mais de faire preuve de souplesse. […] Chacun de nous développe sa propre stratégie pour se protéger, en référence à une histoire personnelle incontrôlable par n’importe quelle structure collective. Il n’y a pas de modèle puisque la sexualité est par définition une aventure personnelle, partagée avec d’autres le temps de l’action. La conjugaison temporelle de deux histoires autonomes. On peut faire ce que l’on veut, à la condition d’agir consciemment, de savoir pourquoi on le fait. Oui aux discours informatifs, non aux discours injonctifs et répressifs. C’est à cette totale conscience de nos actes, de notre liberté, du respect de soi et des autres qu’il faut tendre. »

Qu’on soit d’accord ou pas avec lui, le grand mérite d’Erik Rémès est de lever le voile sur une pratique qui s’est généralisée depuis plusieurs années et dont personne ne parlerait s’il n’était pas là pour brasser la cage. Je me souviens d’un gars de la rue Laurier qui faisait du chat sur Internet en cherchant des relations sans condom. Il m’avait dit qu’il était séropositif et

comme je m’étais étonné qu’il ne mette pas de préservatif, il m’avait répondu : « Mais dans quel monde tu vis ? On est à Montréal, ici ! »Je sais maintenant que le barebacking est partout autour de nous, facilité par l’anonymat des rencontres sur Internet, les backrooms dans les saunas et les petites annonces. Et ce n’est peut-être qu’un début.

Le livre d’Erik Rémès m’a beaucoup appris et m’a fait réfléchir. Depuis la découverte du vih dans les années 80, tout a évolué : la recherche, le virus, les traitements, les mentalités. Tout ! Il n'y a que le discours sur la prévention qui n’a pas évolué d’un pouce. On en est toujours aux mêmes vieilles peurs, aux mêmes vieux réflexes et au mêmes vieux raisonnements. Erik Rémès nous prouve qu’on peut aborder la question autrement, qu’il existe d’autres pistes de réflexion et que l’heure est à la renégociation de la protection dans les relations sexuelles.

Au lieu de tout rejeter en bloc et de juger les autres, comme le font certains, mieux vaut regarder les choses en face, essayer de comprendre et de s’adapter. Si cela ne se fait pas dans un débat collectif, conscient, ouvert et à voix haute, cela se fera de toute façon en privé, dans l’anarchie et dans le noir des backrooms.

www.erikremes.net