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Liste des extraits

Serial fucker

Préface à l’édition de poche 2005

Divers extraits



Divers extraits

Serial fucker, journal d’un barebackeur

Sida is disco

Ici, l’Etat investit pour votre avenir

Je passe toute la semaine à l’hosto soutenir la Crevette. Ça sent moche le sapin. Il fait un froid de dinde, aux marrons, glacés. Mêmes odeurs, couleurs équivalentes, émotions analogues. Retour dans la nuit. Un hôpital. Un. Et encore et encore. « Ça faisait longtemps ma bonne-dame, ben je suis contente de vous revoir et comment qu’allez-vous donc ? » J’assure. Faut, pour la Crevette, être fort, pour la vie, malgré tout, que je maîtrise la situation, que je fasse comme ci, que je reste droit, que je fasse comme ça et patata. Il est mon unique famille. J’ai rompu les amarres avec trop d’amis du passé, dépassés. Ceux qui ne voulaient pas suivre. Les copains délavés, ceux qui restaient enfermés, révolus. Alors, je suis seul, comme toujours, depuis le départ, le commencement de la fin. À Tenon, je n’ai pas d’émotions, mon cœur est glacé, rien ne palpite, comme la terre, le sang en épine, glacé. Juste ce trouble que m’écrase en sortant de l’ascenseur, celui, devant la porte de sa chambre, avant de le voir, les eaux qui affluent, montent par-dessus la barrage. Retenir. Ne pas rompre.

Copyright Erik Rémès, tous droits réservés, Édition Blanche

Cancer is Techno
- Bonjour mon petit Patrick !!! Ben t’as bonne mine !
- Ça doit être la chimio chouchou qui commence à me cramer de l’intérieur.
- Ben au moins t’auras pas besoin de faire des Uvaiiis cet hiver. - Dis-moi Berlinou, j'ai une chimio la semaine prochaine. Tu pourras sortir la BMW pour m'amener à l’hôpital ?
- Bien sur chouchou. Tu sais que les nouveaux chandeliers de chez Habitat font des porte-perf' absolument fabuleux.
- Parce que c'est vraiment dur de tenir la perf' dans la Mini.
- Moi je préfère encore un bon vieil halogène.
- Le pire, c'est qu'ils ne savent pas pourquoi ils en vendent autant. - Enfin tu sais, moi vraiment, je ne pourrai pas baiser avec un garçon qui a un cathéter. Je te prendrai des polas à tous les stades. Ça fera des chouettes soirées diapos. Quinze kilos en moins, Patrick, c’est 60 % d’aérodynamisme en plus.
- Il est mort du Sida l’autre con, non ?
- Non, d'un cancer. Si tu lisais d'autres nécros que celles de Libé... Dans le Monde, par exemple... Tu saurais que les gens meurent encore d'autre chose que du virus.
- Il me reste que cinq T4 et je leur ai donné des noms : Roger, Lise, Alice, Denise et Raymond.
- Je t’ai acheté un badge « J'ai moins de 100 T4 ». Tu ressembles de plus en plus à un mauvais Basquiat peint sous héro et accroché à l'envers. Mais ça va ? (... ) Sûr ? (...) Vraiment, ça va ? Tu es sûr ?
- Oui ça va Berlinou.
- Si ça n’allait pas, tu me le dirais, hein ?
- Oui ma chérie.
- Parce que, tu es sûr que tu n'as pas perdu du poids ? Vraiment, ça va ? Sûr ? Hein ? Vraiment ? La forme ? Enfin, ça va ?
- Oui !
-Parce que je déteste vraiment que mes amis soient à l'agonie sans me prévenir.
-T’es conne ma pauvre fille.
- Au moins, tu n'auras pas besoin de te déguiser pour Halloween. Tu penses que tu auras le courage de te flinguer avant ? Si oui, comment ? - En même temps, tu vas me dire, je peux sortir de l’hosto et me faire écraser.
- Je me demande bien lequel de nous deux mourra le premier…
- Toi, j'espère.
- Au fait, tu veux faire disperser tes cendres où ?
Copyright Erik Rémès, tous droits réservés, Édition Blanche
Infecté sous Mitterrand, morte sous Chirac

Crevette est épuisé. Cinq chimios en quatre jours. Il veut maintenant se casser, en finir, ne plus avoir ce jus de mort dans le sang, sentir les médocs de partout, exsuder de tous ses pores, la langue suintante, fusiller sa tumeur, lui exploser le cul, en être débarrassé. Survivre. Puis ces sapins de partout, avec ces boules de merde, ces guirlandes qui puent, ces putains d’arbres qui vous réveillent le passé, dépassé et encore et encore. Fais chier. Juste le besoin de les saccager, putain, pour ne plus jamais les voir, vivre sans eux, enfin libre, libéré du passé, dépassé, consumé. Oui, envie de plomber le Père Noël. Et puis Dieu aussi, leur exploser le cul avec le poing. Déchirer les muqueuses avec les ongles. Bien tirer sur les chairs. Rentrer profond la main. Ouvrir. Saigner. Arracher la viande. Puis cracher en eux la plombe. Qu’on en soit enfin débarrassés de ces emmerdeurs. Une fois pour toute. Qu’ils ne nous fassent plus chier tous les ans avec leur histoire de merde à la con. Copyright Erik Rémès, tous droits réservés, Édition Blanche

Je cherche un mari, le mien est mort

Piéta. Je sors de l’hôpital avec Marcelle, la petite maman de Crevette. La pauvre femme. On tombe pile sur le 20e anniversaire de la mort de son mari. D’un généralisé. Aujourd’hui, c’est son fils qu’elle veille. « Ce n’est pas une vie ma bonne-dame ». Chimio et radio sont sur un bateau... Crevette se laissait aller. Peut-être se laissait-il mourir ? Il ne prenait pas bien ses médicaments. En échappement. Passait son temps à se défoncer, boire, se droguer et fumer. Bouffer du sexe, à en dégueuler. Il n’est pas le seul de sa génération, gay ou pas. Des va-t-en-guerre, c’est ça. Erik remes

Serial fucker, journal d’un barebackeur

Le Sida, une chance dans ma vie

Mars 1999. Fin de siècle. Samedi soir, Castro, le quartier gay de San Francisco. Direction la Bareback House. Le thème : « Fuck the holl ». Le droit d'entrée est de 8 dollars. Après avoir payé, Georges Butch, le boss me tend le règlement intérieur : « Ceci est une soirée bareback. Tous les invités sont présumés séropositifs ou alors ils ont pris la décision d'assister à ce genre de soirée. Par conséquent, il n’y aura pas de discussion sur le statut sérologique, la maladie ou la médecine ». Je signe ensuite une déclaration d'intention de n'infecter personne avec le Sida. Ça décharge Georges de toutes responsabilités face à la nouvelle législation qui criminalise la transmission du virus. Les États-Unis sont toujours en avance. En France, cette loi n’existe pas. En 1992, je pigeais à Gai Pied Hebdo. Les députés de droite discutaient d’une loi punissant « L’insémination du Sida ». Les assocs étaient vite montées au créneau. La loi n’était pas passée.
Après avoir signé, je me fous à poil et remplis un sac en plastique sur lequel je marque mon nom : « BerlinTintin ». Je monte l’escalier et rejoins une vaste pièce : des culs à perte de vue. Ça se démène. Des jeunes, bourgeois, mûrs, crevettes, skins, gym queens nagent dans une lumière rouge. La vidéo glaviote sa porno. Je dissèque le manège. M’assois entre deux couples. Sonde l’action : deux actifs, à tour de rôle, enculent la même chienne. La baise est studieuse, intense. Ça dure un bon quart d’heure. Puis les deux foutrent le troisième. La pute reste là, à quatre pattes, lascive et soumise, en attendant que d'autres le montent. Excité, je rejoins le manège et la fourre. Un croupion tropical et trempé. Je tasse profond. Je vais et je viens, entre ses reins, le gland couvert de fruits étrangers. Je me sens bien. Et d’un. Au suivant.

Mieux vaut mourir du Sida que d’ennui

Prophète du jus. Depuis le milieu des années 90, le No capote se popularise. Ce mouvement, comme bien d’autres, est né aux States. Les précurseurs. Tout est apparu en 1995 lorsqu’une star du porno, Scott O’Hara, a déclaré baiser sans capote. Puis, en 1997, ce fut au tour de Tony Valenzuela, ancien acteur porno séropo. Ils réclamaient l’abandon des préservatifs. Prophètes sodomites. Dans un édito de 1995 intitulé « Le Superman de la capote n'est plus » et publié dans Steam, O'Hara, aujourd’hui décédé, écrit : « J'en ai marre d'utiliser des capotes, je ne le ferais plus. Je ne ressens pas le besoin d'encourager les séronégatifs à le rester ». On commença à voir des papiers sur le sujet dans des magazines comme Poz ou The Advocate. Ça a exaspéré et attristé les homos qui s'étaient battus pendant toutes ces années pour lutter contre le Sida, tout en enterrant ceux qu'ils aimaient. Les intégrationnistes voyaient tout leur travail réduit en miettes par cette poignée d’indomptables iconoclastes. C’est un long article du journal Poz, A ride on the wild side, publié en février 1999 par Michael Scarce qui lança une campagne médiatique outre-atlantique. Ravageuse.

Contamination = libération

Libre : descendu de la croix. À la Bareback House, je me sentais bien, sans complexe ni culpabilité (si un jour je l’ai jamais été…). Je me sentais libre. Délesté de toute honte. J’étais content et fier, heureux même. Ni mon homosexualité ni ma séropositivité n’étaient plus mon opprobre. Tout autour, des hommes comme moi qui ne se mentaient pas, qui pouvaient vivre leurs fantasmes, sans leur croix. Nous étions tous des Christ, nus, décrucifiés. Le cul en Golgotha. Je suis rentré dans le jeu sereinement, à mon rythme. D’abord quelques pipes à droite à gauche et vice-versa. De beaux engins ma foi. De la viande par étals entiers, exposée, offerte. Des monceaux de chairs pour me repaître. Barbaque. J’étais boucher, cruel et sanguinaire.
Ce soir-là, on trouvait pas mal de grosses bêtes dépravées. C’était surprenant de voir ces hommes qui passent des heures en salle à entretenir leur corps comme une bécane de luxe et qui, cette nuit, jouaient à qui serait la plus cybercochonne de toute. C’est le premier argument des anti-barebackers : « Vous ne faites pas attention à vous-même, vous ne vous respectez pas, vous vous détruisez ». Et bien non, nous ne sommes pas forcément autodestructeurs. Bien au contraire. Nous sommes en lutte pour nous assumer tels que nous sommes, tels que sont nos désirs. Vivre notre jouissance, respecter nos différences et agrandir notre liberté. Et notre liberté étend la vôtre à l’infini. Copyright Erik Rémès, tous droits réservés, Édition Blanche

L’amour est plus fort que la mort

Kapo du ghetto. À New York, dans un bordel aseptisé, je m’étais fait poliment rembarré par un barman. Une espèce de surveillant paraît-il : « No, no man ! You don’t have to do that like that. It’s forbidden, it’s forbidden» ; « What you say. Forbidden what ? » répondis-je toute éberluée. « You dont have to fuck without condom » lâcha-t-il poli, mais tout de haine rentrée. Tout ça parce que je baisais sans capote, n’importe quoi. « You are crazy Americans. You have to be fuck by Twin Towers ».
J’apprends plus tard dans la soirée, par Sylvain le serveur français (il tenait TTBM dans le temps), que face aux « contrôleurs de santé » patrouillant les sex-clubs à la recherche des clients unsafe, les barebackers avaient riposté en organisant des soirées privées. Cette nuit-là, j’étais rentré chez Sylvain... La première fois que nous avions baisé, c’était en 1988. Un bail OPAC ma sœur. Depuis, on avait remis le couvert plusieurs fois. Il est super top testomusclor maintenant. Avec une gnagna grosse queue épaisse. Il a tourné dans plusieurs pornos. J’avais tellement été frustré de ce kapo du ghetto, qu’on s’était foutrés jusqu’à plus soif.

Le Sida, il passera par moi

Fuck the holl. Ce soir, deux mecs ont été choisis pour se faire enculer par la bande. Ce genre de soirée existe ailleurs. On en trouve même à St Louis, Oklahoma City, Phœnix ou Indianapolis. À quand les Fuck the Holl à Deauville ?

Je m’étais vite décoincé. La viande était appétissante. De la bonne carne rouge et sanguinolente. Du muscle qui sentait bon la testo. De la masse anabolisée. J’étais tantôt Top, tantôt Bottom et patati et pas tata. Je coupais de gros morceaux. Mangeais par bouchées entières. Ils allaient et venaient en moi et ma queue se perdait, impétueuse, dans des fosses sans fond. Ça sentait bon le foutre chaud et la muqueuse baveuse.

Je venais de jouir deux fois. Les bourses déshydratées, je revenais au bar et commençais à discuter avec un des mecs que j’avais rempli : Dicky. Bien le bougre, très-très même. Tous à poil, on rigole, s’embrasse, baise et parle. La vie quoi. Nous étions toutes des grosses putes assoiffées de suc, membres de la même famille, unis par le même feu, brûlant de souche commune. Un lien de sperme et de sang, indéfectible. Je suis le seul étranger et j’accapare l’attention. Le « big frenchy » de la bande. Dicky est le plus entreprenant. Belle bête, bonne gueule viril, 35 ans, 1.85, 80 kilos, une queue épaisse et circoncise. Et bonne salope pour ne rien gâcher. Un activiste gay et Sida de la première heure.
- Nous n’en sommes pas encore à votre niveau Dicky. En France, tout est encore informel. Le débat ne va pas tarder à exploser.
- C’est très dangereux BerlinTintin ce problème. Ce n’est pas qu’une histoire de sexe ou de virus. Ça touche aux libertés fondamentales.
- Ah oui ?
- Ça remet en question les valeurs morales.
- Oh ?!
- C’est de la bombe. D’une certaine façon, les barebackers ont simplement popularisé un fait largement reconnu mais rarement avoué. Pendant des années, les experts en santé publique ont demandé aux séropos de privilégier la prudence en utilisant des capotes, y compris avec d’autres Poz .
- Ok mais la surinfection, ce n’est toujours pas prouvé.
- Oui, mais beaucoup ont suivi cette règle. Utiliser des capotes était considéré comme un devoir communautaire à la fin des années 80.
- Tu veux un verre Dicky ?
- Oui, avec plaisir. Mais arrêtons de parler BerlinTintin. Tu m’excites petit français. Enfin petit, t’es une belle bête. J’ai envie de m’occuper de ton ass. T’es bottom aussi ?
- Oui-oui, fromage et puis dessert et plutôt deux parts qu’une. En plus, tu as une putain de bite et je suis la Toute size queen. Tu as de belles mains aussi. Je me les prendrais bien dans le cul !
- Alors prends un rail de K et vient big french pig.

Les préservatifs, tout le monde dit non

The gift of Fuck of death. J’ai mis mon Bandana bareback tonight : bleu nuit pour la sodo, avec des points blancs pour le sperme. So chic comme dirait Madame H. Cette soirée est une « All positive barebacking party ». Tout le monde est séropo. Mais il en existe aussi d’autres, des « All negative party ». Ensuite, ça se raffine à darladada. Tu as les « Conversion parties » où les « bug chasers » cherchent à être infectés par les « gift givers ». Et bien sûr, les « Russian roulette parties » réunissant des hommes séropos et séronégs. Très courues. Les participants savent ou pas qui est Poz et qui est nég. Ça dépend de la soirée. Du côté des mecs, on trouve les « gift givers » : hommes Poz désirant infecter un bug chaser. « The gift », c’est le cadeau ultime. Il existe tout un vocabulaire pour le foutre, comme « Charged cum » ou « Poz cum ». « Fuck of death », c’est la sodomie ultime. Le baiser de la mort, la baise de la mort. Quand la mort te baise. Waouh ! Elle a une grosse queue la mort ? Erick remes

Jean-Paul II condamne l'usage des capotes, (nous aussi)

Le fameux texte « comment contaminer une actupienne.

J’ai un pote, Alex, qui a réussi à contaminer une connasse d’Act Up. Alex fait partie des rézos apolitiques (ou décérébrés, ça revient au même souvent). C’était juste un barebacker de base, sans conscience des enjeux politiques, un foutreur. Il était tombé un soir sur l’activiste dans un bordel du Marais. Il ne le connaissait pas. Il ne savait pas qu’il faisait partie du groupe. Il l’avait seulement entendue engueuler le barman parce qu’un mec défoncé, en bas dans la backroom, se faisait baiser sans capote.
-Et alors ? avait répondu le barman. Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Que j’aille le remonter ?
- Ben oui justement ! Le mec est bourré et s’il est bourré, c’est à cause de toi qui lui sers de l’alcool.

Le ton commençait à monter. Heureusement, je n’étais pas là. J’aurais encore fait un scandale. Je l’aurai certainement frappée la petite conne. Le truc s’est calmé. La mili tante était furieuse. Il a menacé de se plaindre ; a dit qu’on finirait bien par les fermer toutes ces backrooms de merde et il est redescendu... Alors Alex l’a suivi, le sourire aux lèvres. Il avait toujours sur lui une capote au réservoir découpé. Il a commencé à draguer le mec. Et mon pote, il est vraiment pas mal. Bien foutu, belle gueule, jeune, musclé, sexy. Puis une pine... On lui donnerait le bon Dieu sans confession. Et le diable aussi. Ça a collé entre eux. Il a vite fait de l’emballer. La pauvre fille d’Act Up a commencé à sucer. Sans capote en plus. Le pire c’est qu’elles ne sont pas toujours safe. Au contraire. Le nombre de membres d’Act Up qui barebackent, ça fait peur. Même d’anciens présidents... Et dans toutes les assocs de la lutte, c’est la même chose. D’un côté le discours, de l’autre les actes. La mouille de la queue d’Alex avait peut-être déjà fait son travail. Mais il en voulait plus. Alex a sorti sa capote magique. L’a déroulé sur sa queue en prenant garde de bien mettre le gland à l’air. Il a bien lubrifié le fion de la trisomique et ni une ni deux, la emmanché. Alex n’a pas tardé à jouir. Il a bien tassé profond : « Prends en de la graine ». Avec 500 000 de charges virales, une syphi et des condylomes sur le gland, il était certain de l’avoir niqué la dinde. Il n’a même pas attendu qu’elle jouisse. Il s’est cassé, comme ça. L’autre s’est retrouvé comme une idiote, le pantalon sur les jambes.
En rentrant, tout content, Alex a posté un mail sur les groupes de discussion : « j’ai plombé une actupienne, j’ai plombé une actupienne, tralalalalaire, tralalala. Sortez vos armes. La chasse aux dindes est ouverte ». Dès le lendemain, il avait reçu plusieurs mails de félicitations. La mode a vite été répandue. Les grenades dégoupillaient. Elles explosaient de partout. « Merci Act Up de nous avoir fait naître ». Copyright Erik Rémès, tous droits réservés, Édition Blanche

Texte bareback serial fukeur Irresponsables

Le 11 octobre, Libé fait sa couverture et ouvre sur 4 pages consacrées au relapse. De la bonne titraille de vendeuses de poissons phocéennes : « En France, la surveillance épidémiologique est en panne. Sida, un relâchement qui fait peur ». Eric Favereau et Blandine Grosjean s’en donnent à cœur joie dans une série d’articles à la fois justes, partiaux, juteux et racoleurs : « Aux Etats-Unis, la génération post-Sida » ; « Homos : la capote n'a plus la cote » ; « Eros et Thanatos » ; « Paris, capitale des backrooms » ; « L'hédonisme est de retour ». « Deux ans que la rumeur couvait. La capote n'est plus à la mode, les relations sexuelles entre hommes seraient de moins en moins « safe ». La rumeur enflait, alimentée par une recrudescence des maladies sexuellement transmissibles - syphilis notamment -, l'ouverture de nombreux « sex-clubs » où les préservatifs ne se ramassent pas à la pelle au petit matin, des petites annonces sur Minitel ou Internet : « cherche plan nokpot », « Paris touze nokpote - de 30 ans », « séropo cherche séroné sht [souhaite] contamination ». Un état d'esprit. Paris est bel et bien devenu le premier « bordel » homo - selon la terminologie communautaire - de la planète avec une centaine de lieux de rencontres ou de sexe, dont 43 backrooms, qui attirent une clientèle venue du monde entier. Pour beaucoup d'acteurs de prévention, la capitale est devenue « une véritable Cocotte-Minute ». Le Sida avait induit une sexualité clean. La mode, maintenant, c'est le crade. À Paris, les derniers établissements ouverts sont hards et sales. Ce n’est pas seulement le Sida que tu peux choper, dénonce un volontaire de Pin's Aides. Personne ne réclame leur fermeture, comme aux Etats-Unis. Mais un peu de cohérence et une réglementation ». Guillaume rentre dans le lard, « Quand on est séronégatif à tous ces trucs horribles, le VIH, l'hépatite, autant le rester et ne pas avoir d'histoires avec un séropo. Mais quand on est séropo, la responsabilité, c'est pour soi, pas pour les autres. Le problème avec la capote, c'est que ça empêche d'avoir une sexualité normale. Act Up dit : "vous êtes séropo, vous allez mettre des capotes jusqu'à la fin de vos jours". Eh bien ! non. La sexualité, c'est la fusion. On ne va pas y renoncer, on a déjà le Sida.» Pour Libé, « L'idéologie du « bon homosexuel » est donc en train de voler en éclats. » Lestrade : « Je n'admets aucune erreur, pour moi le safe sex est devenu une éthique de responsabilité, une façon de participer à un effort de guerre. Les séropos oublient qu'ils représentent des grenades sexuelles. Tout le monde a désormais une raison décente de baiser sans capote. Ils sont convaincus qu'ils ont raison, qu'ils sont le sel de la terre et que tous ceux qui ne font pas comme eux ne sont pas dans le bon club.»
Copyright Erik Rémès, tous droits réservés, Édition Blanche

Le Seigneur des anaux

En fait, Dicky n’a pas été le seul à me prendre en main et en queue. Oh non, mon Dieu ! Il m’accoucha le con et me donna vits. La meute hurlante me piétina. Combien je ne sais pas, je ne sais plus, turlututu. J’étais pim, pam, poum. Ils n’y allaient pas de main morte, même droit au cul. La toute radieuse et débordante. Le Special K de Dicky était puissant. Mes limites s’éloignaient jusqu’à disparaître. J’étais illuminé maintenant. Un pur corps libéré de tout esprit. Et tant mieux. Ma conscience au loin m’observait goguenarde : « elle s’en prend de bonnes la cybercochonne ». Je la sentais presque jalouse de ne point être aussi, disons... charnelle et vulveuse, pour profiter, ressentir ce que mon corps au loin d’elle éprouvait. Nous étions maintenant deux entités distinctes, autonomes et libres, bien que toujours dépendantes. À chaque rail, je devenais plus avide encore. Des profondeurs anales abyssales inexplorées surgissaient. Les murs commençaient à vibrer comme sous LSD. Les couleurs, elles aussi, bourgeonnaient et s’épanouissaient : « Plouf ! », « Plouf ! », faisaient-elles tout d’insolence. J’en voulais de plus en plus. Ni fin ni cesse : j’étais un trou de mémoire. J’alternais queues et poings, puis godes de plus en plus colossaux. Entre chacun, Dicky me reprenait en main et approfondissait le travail. J’en avais gros dans la patate. La Crisco et le K coulaient à flot. Son avant-bras, entier, en moi.
-Comment tu te sens BerlinTintin ?
-Waouh... Complet Dicky !
J’étais la Sainte Vierge, il était mon Dieu. J’étais plein, rempli, un tout, plus de manque, plus de vide. Le fion crucifié de joie. Juste lui en moi. Enfin plein, accompli et achevé. L’autre en moi. Je me moulais sur lui. Il était moi. Il a alors rajouté sa queue épaisse. J’ai recommencé à couiner telle la truie des alpages au printemps : « cruiicc, cruiiccc ». Je me suis branlé et nous avons joui en chapelle ardente.
Copyright Erik Rémès, tous droits réservés, Édition Blanche

Savoir = Pouvoir

Le passé n’est que prologue. On sort à peine des ténèbres, des jours noirs, avec des corps d’apocalypse. Des années sombres. Alors il nous fallait prendre la parole, la reprendre, années pleines de vide, de creux, d’absence. Parce qu’il faut vivre, oublier, survivre, coûte que coûte, rester là, ici et maintenant. Des trous et nous dedans, dans ce vide, espérer le jour, risquer chaque instant, de s’étouffer, attendre, par manque, de tout et de rien, de l’air, le temps d’avant, les instants, la vie, plein de silence. Etre l’exclu, tous les départs pour l’autre rive, ne plus jamais vous revoir. On vivait la-dedans. Plonger dans son abîme, ne rien regretter, ne jamais s’arrêter, se dire que s’est ainsi, regarder toujours par-devant, comme cela, ne pas se retourner pour voir le vide autour, ne pas tomber, puis chuter. Marcher à tâtons, éviter les pièges, dans la nuit sombre, ne rien ressentir, les chausse-trappes. J’étais resté là, tout seul, les trous béants, comme un enfant. La litanie des ombres, les escarres vivantes, l’absence qu’on abandonne, les creux de partout, désobéir, fait, défait, cassé. Nous étions tombés sans fin, pas de fond, si jeunes, plus personne autour, les creux qui s’agrandissent, pas encore morts. Il fallait vivre cette vie, l’instable, pas encore, pour voir, quitter le précaire, n’en plus pouvoir, rien de partout, non c’était la vie, de la mort, les gouffres qui aspirent, vous happent, vous mangent. Les murs de la pièce qui disparaissent lentement, éloignés, perdus. Du vertige plein le sol qui s’enfonce. Loin le sol, très loin, plus de sol. Un plafond sans écho. Presque plus rien.

 

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