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Kannibal

premier chapitre



premier chapitre

Tu seras très sage ou bien l’ogre te mangera. J’ai commencé par les animaux. Éventrer, étriper, dépecer : je me masturbe toujours en pensant à cette succession d’actions lascives, empreintes d’excitation et de désir. Lorsqu’arrive la puberté, vers l’âge de douze ans, pervers, un nouvel élément vient s’insinuer dans mon fantasme et l’idée de manger finit par s’ajouter tout naturellement à mon rituel. Pendant des années, j’ai rêvé de consommer de la chair humaine, sans jamais me laisser aller à le faire, sans même oser penser que cela puisse vraiment se produire un jour. C’est très difficile de devenir un homme libre, de se débarrasser de ses peurs et de ses préjugés. Et peut-être même n’est-ce pas totalement souhaitable. Si ce n’est que moi, je l’ai fait. C’est un jour froid et sec, la terre est glacée et les arbres sauvagement nus. Hiver 71, la neige recouvre tout. Je dois avoir six ou sept ans à peine. Je suis invité avec papa et maman chez des amis pour le cochon. Le cochon ? Quelle drôle d’idée ! Je sais bien évidemment ce qu’est un cochon, j’en ai même déjà vu, couinant devant leur auge pleine comme des femmes hystériques (maman ?), se rouler dans la boue hivernale, se délectant comme des porcs qu’ils sont – alors qu’à la maison, il faut toujours être propre et impeccable, jusqu’au dernier ongle bien coupé. Je trouve leur situation des plus enviables : oui, je crois que j’aimerais être un petit porcelet. Ce matin-là donc, nous nous rendons dans la ferme éloignée de tout. Vers 7 heures, ils vont chercher le monstre dans l’étable : il est énorme, boudi ! Ils lui attachent une patte de devant avec une patte de derrière et ils le tirent pour le faire basculer. Ils sont plusieurs à la tenir. Il crie ! Cruic-cruic-cruic, fait-t-il, terrifiée à l’idée de ce qui va lui arriver. Puis, un homme extraordinairement beau, très grand et fort, s’avance et lui enfonce un grand couteau jusqu’au coeur. Boudi, c’est atroce ! Je sens que je m’évanouis – curieusement, dans mon pantalon, mon sexe est tout fier et dur. Le sang du cochon jaillit alors et coule dans un grand récipient tandis que, peu à peu, la bête se meurt. Je ressens une peur terrible et, en même temps, – je suis toujours amphigourique – une forte excitation. Des femmes épurent le liquide rougeâtre et le remuent. Beurk… Dire qu’on allait se bâfrer tout ça… Ensuite, on me fait mettre le sang dans une poêle ; d’une main, je dois le tourner pour qu’il ne coagule (cela me dégoûte et, en même temps, m’excite terriblement : je suis bouillonnant). Lorsque le cochon est bien-bien mort, que ses pattes ne bougent plus dans de terribles et sourdes convulsions, on l’installe sur une échelle placée sur deux traverses, pour éviter que le grand corps immobile ne touche la terre : on dirait Jésus-Christ sur la croix, c’est beau, j’ai envie de prier comme à la messe : Ave Marie, la truie pleine de grâce, que ton sang soit sanctifié. On brûle les poils du gros dégoûtant ; on le gratte et enfin on le lave… Je ne dis pas comment ça sent. Quand le porc est tout beau, tout propre, rasé tel un jeune communiant, on appuie l’échelle contre le mur : Jésus au Golgotha. Le moment de l’opération arrive… On ouvre le ventre de la bête – je bande toujours – les viscères surgissent de même que d’une boîte magique, tous les boyaux jaillissent. Ils sont aussitôt placés dans une corbeille à l’aide d’un grand torchon. Puis, on les dépose sur une grande table et je dois arracher la graisse qui les recouvre. Je suis là, les mains pleines de sang et de gras, fasciné par la mort que je contemple pour la première fois : c’est tellement éblouissant, féerique et émouvant. Je ne comprends rien à ce qui m’arrive : j’ai ma petite culotte toute trempée… Ça ne m’est encore jamais arrivé. Je rêve toute la nuit que je suis le roi cochonnet. Le lendemain, chouette alors, on découpe la bestiasse : je bande déjà. Il faut placer la graisse et le lard dans un grand fourneau en fonte pour qu’ils fondent. On coupe la viande à la main et au hachoir pour confectionner les boudins : miam-miam. Je charcute de toutes mes forces, je tranche et dissèque encore, me régale de sentir la chair rompre sous ma lame aiguisée : c’est tellement euphorisant. Un homme prépare ensuite un pot-au-feu considérable avec moult légumes et petits morceaux de carne. Avec une sorte d’entonnoir tarabiscoté on bourre la tripaille : on dirait des grosses bitasses de nègres. Tous les dix centimètres, on fait un noeud pour fermer la membrane, puis on dispose le tout sur une corde dans le grand fourneau avec la graisse fondue. Pour savoir si le boudin est assez cuit, on le pique pour voir s’il en sort du sang. J’adore la chaire brune, rentrer la lame : j’en suis tout tourneboulé et rebande déjà. Quand la cuisson est achevée, on installe les boudins sur de la paille de seigle et on les fait griller avec un morceau de lard. Ça sent sacrément bon le cochon : miam-miam. J’adore ce rituel, le seul hic, c’est qu’après, il reste un tas de vaisselle à laver : et ça, j’apprécie moins ! Mais quand même, c’est super-chouette le cochon. Vivement l’année prochaine. Écoutez-moi J’imagine déjà les gros titres de la presse relatant mon histoire : Voici l’histoire du grand Ralf M., l’apocalyptique cannibale de Volenburg, les articles élogieux, si je suis pris un jour par la police, un jour peut-être, et si Dieu le veut. Car on ne peut rien sans l’aide de Dieu : je suis bien placé pour le savoir – j’ai maintenant l’intime conviction que Dieu m’aime. Oyez oyez gentes dames, battez tambour et sonnez trompette, voici la monstrueuse – mais réelle – histoire de Ralf M., le barbare de Volenburg, jugé pour le meurtre, le 10 mars 2001, de l’ingénieur berlinois, Karl- Heinz B., qu’il a émasculé, égorgé, étripé, dépecé et dévoré. Ralf M., 42 ans, a avoué avoir tué et mangé un ingénieur berlinois de 43 ans, une scène dantesque et monstrueuse qu’il a enregistrée intégralement sur cassette vidéo. La victime, Karl-Heinz B., s’est rendue au domicile de son bourreau, à Volenburg, près de Cassel, à la suite d’une annonce postée sur Internet par Ralf M. : Cherche homme prêt à se faire manger. L’ogre allemand a contacté 204 autres candidats. Certaines personnes ne voulaient qu’être torturées, mais la plupart s’étaient proposées pour l’abattoir. Il faut que je relate en détail ce qui s’est réellement produit ; les mass médias ne propagent que des rumeurs stupides, échos lointains de peurs et fantasmes infantiles, fadaises. C’est pour cela que j’ai décidé de tout dire, de tout expliquer, et que je me suis mis à écrire, à raconter mon histoire et mon terrible amour, l’histoire de l’amour cannibale. Je m’appelle Ralf et je suis bien réel : malgré l’exécration que peut inspirer cette folle passion, cette dégoûtation émétique, il faut savoir que tout ce qui est écrit ici est vrai, dans ces quelques centaines de pages, bien authentique et contemporain, incontestable, que tous les faits exposés se sont déroulés strictement comme je l’explique, même si c’est incroyable et stupéfiant. Réel, oui. Moi, je ne suis pas un de ces cannibales vulgaires qui tuent par pure gloutonnerie, ou par superstition, à l’instar de bien des tribus primitives ; non, moi je tue par amour, je suis le cannibale amoureux. Il est indispensable de comprendre que l’âme d’un être aussi déviant et pervers que moi est comme celles de grands tourments intérieurs – telles les fortes marées d’hivers – quelque chose de si violent, qu’on y trouve des pulsions si instables qu’une vigilance sérieuse est impérative pour en faire une expertise incontestable et ne point se leurrer sur les chemins de ses propres peurs et lâchetés. Si vous voulez autopsier mon crime passionnel sous son vrai jour, il est inévitable de se dire qu’en moi, des puissances dissemblables cohabitent ; l’une instinctive, portée vers le mal, l’autre raisonnable et spirituelle, éprise de bonté. Ces êtres intérieurs vivent en lutte perpétuelle. Mon être primitif est extrêmement malveillant et inhumain mais, il n’est pas seulement cruel : du bon et du bien vivent également en lui. Le mal absolu n’existe pas sur terre. Je ne suis pas, tant s’en faut, qu’une brute épaisse ; je possède une délicatesse de sens moral qui me positionne au-dessus de bien des mortels. J’ai refoulé la voix de mon âme et de l’honneur qui me criait : " tu es un monstre " ; j’ai vaincu les dernières répugnances de l’honnêteté ; je me suis armé d’une terrifiante hardiesse contre moi-même, Je suis allé chercher dans les tréfonds de mon être dépravé une force surhumaine et j’ai exécuté la plus épouvantable et répugnante des abominations. Aujourd’hui, devant la folie du monde, j’ai décidé de ne point m’embarrasser de quelconques morales stupides. Mon terrible acte de prédation passionnelle semble bien dérisoire devant ceux commis par Dieu ou toute entité supérieure, dont l’ironie est sans égale et la cruauté gratuite, insondable. Personne ne devrait m’abhorrer. Vous devriez plutôt éprouver à mon égard de la tolérance voire de la compassion, peut-être de la tendresse même, parce cette haine – celle que vous pouvez me porter naïvement – en fin de compte, n’est qu’une détestation de vous-même ; ce que vous souhaitez détruire, en substance, n’est qu’une partie de votre propre âme. Le danger se situe plutôt au plus profond de nous et consiste, certainement, à devenir libre. Épitaphe Vous lisez ici la mort qui vous attend, le corps sans vie que vous deviendrez, ce cadavre que vous êtes déjà, une vulgaire charogne déliquescente et faisandée, grouillante. Depuis le commencement de cette histoire, votre vie, jusqu’à la fin de cette mascarade inutile, vous ne serez né que pour cela : pourrir et périr, gaver larves et vers comme autant de souvenirs éteints et d’amours imbéciles, alors peut-être, vous vous incinérerez, bravant par là l’immuable. Oui, n’oubliez pas – bien sûr – vous allez mourir, il vous reste peu de temps – la vie s’évertue à abréger vos souffrances. Votre propre mort Qui vous terrorise. Ce qui vous dérange ici-bas, dans cette folle histoire d’amour, la fabuleuse histoire du cannibale de Volenburg, c’est vous, putrescible : vous n’aurez été à peine qu’un instant de chair agitée de soubresauts et de temps stupide que vous vous serez époumoné à remplir au mieux de réel insignifiant et de néant grossier : vous n’aurez strictement servi à rien, humain dégénéré, perpétuant l’espèce comme le font les rats : votre origine s’est envolée, votre progéniture déjà vous éclipse et vous réalisez que tout cela, l’existence et le monde autour, n’auront servi à rien, que vous entretiendrez toujours le vide et que je suis la vérité même d’arrêter tout cela, ce subterfuge sans âme ni sens. Je crois détenir, moi, certainement, la raison de tout cela, cette existence sans motifs, que seule l’agonie illumine de ses festons lactescents : la mort, et vous éprouvez maintenant jusqu’à quel point vous vous êtes mystifié et que, malgré vos certitudes, vous vous leurrez. La violence de la vie Il n’existe pas de raison, ni de fin ni de commencement. Votre vie, vraiment, n’a aucune utilité et ces lignes viendront parapher votre épitaphe d’un jet de sperme et de sang-mêlé : rien. Que la fête commence

 

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