Le site de l'écrivain Gay
 

Gay et publicité libération le 26/05/95

 



Aux Etats-Unis, les marques n'hésitent plus à vanter leurs mérites auprès des homos. Les gays entrent dans la pub. Cette nouvelle cible de marketing commence à se dessiner en France. Existe-t-il un marché publicitaire gay spécifique? Alors qu'aux Etats-Unis, les firmes ont depuis belle lurette répondu par l'affirmative en vantant leurs produits dans la presse homosexuelle, la France hésite encore. Un mouvement se dessine pourtant... Du bout des lèvres, les «marketeurs» commencent à s'intéresser au marché gay. L'Institut des études économiques et commerciales organisait à Paris, en avril dernier, le premier colloque consacré au marketing gay, tandis que le cabinet Axes décidait de mettre en place un département d'études sur le marché gay. Evian, Perrier, le cognac Rémy Martin, Diesel, Mazda, Peugeot, Nike, de plus en plus de marques font leur pub dans les journaux gays américains. Mais c'est à Absolut Vodka que revient la palme de pionnier. Pour son lancement sur le marché US, l'entreprise scandinave avait notamment acheté les dernières pages de l'ensemble des titres de la presse gay ainsi que celles des titres branchés. Son essor fut rapide, le milieu gay et noctambule lança ce produit et, aujourd'hui, cette marque d'alcool est un leader du marché. De quoi l'inciter à poursuivre cette démarche en Europe. Pour Jean-Jacques Bénézech, chef de groupe media de l'agence TBWA responsable de la communication d'Absolut en France, «l'image américaine de la marque était tellement liée aux milieux artistiques et de la nuit qu'en France, c'est tout naturellement que nous avons ciblé la communauté gay: une population très festive, très implantée dans le monde de la nuit et précurseur de la mode». Démarche identique à celle utilisée par le whisky Glen Grant. Pour Henri Gorenbouh, directeur de clientèle à l'Agence Grey, en charge de sa promotion, «les gays font partie de ceux qui font la mode et fréquentent la nuit. Notre démarche est opportuniste, nous avons réfléchi en termes d'efficacité media». Ce mouvement reste toutefois embryonnaire. Aux dires des professionnels de la publicité, l'obstacle principal est certainement l'incapacité culturelle hexagonale à penser en termes de minorités. «A l'inverse des Etats-Unis, la France ne possède pas de lobby gay puissant. De plus, si les USA sont une nation de communautés formant une mosaïque, la France, elle, est une société consensuelle de l'intégration par des valeurs communes», explique Jacky Fougeray, directeur du groupe de presse gay Illico. Ce que confirme Xavier Gauderlot, chargé de communication chez Levi Strauss: «C'est vrai qu'aux USA, la culture est différente et le respect des minorités est traité différemment. Ici, nous n'avons pas de cible prioritaire, nous visons à être universels. On constate la diversité des cultures et des races, mais nous nous adressons autant aux gays qu'aux jeunes de banlieue ou à ceux du XVIe arrondissement.» Plus prosaïquement, la majorité des marques s'adresse à la cible la plus large possible, et, comme le dit Marc Siles, responsable de la presse au Club Méditerranée, «on vend un produit. Il ne nous viendrait pas à l'idée de communiquer en direction des Africains ou des Chinois, ni en fonction de quelconques tendances religieuses ou politiques». En France, la pub généraliste a fait son apparition en 1982 dans la presse gay avec les parfums Saint Laurent. En 1992, c'est Gaultier Jeans qu'on a vu dans Rebel. Mais il s'agissait ici davantage de contacts par piston, copinage ou solidarité, transgressant les règles habituelles du marché. Plus récemment, ce sont Benetton, Bacardi, la machine à laver Babynova ou le voyagiste Bambou qui ont fait leur apparition dans cette presse. Mais si Absolut est apparue en France dans le milieu des années 80, ce n'est que depuis 1993 que cette marque racole ouvertement les gays avec des slogans comme Absolut Queen et Absolut Régine. «Il est vrai que nous avons d'abord communiqué vers une cible la plus large possible, puis vers les gays», précise Bénézech. A ceci, trois raisons. D'une part, «on peut toucher les gays par d'autres médias». D'autre part, «l'homosexualité est, qu'on le veuille ou non, encore un tabou en France, les mentalités ne sont pas prêtes». Enfin, «depuis la mort de Gai Pied, il n'existe pas de véritables médias gays ayant l'envergure et la crédibilité de leurs confrères américains, notamment en termes de tirage». Mis à part Gai Pied qui a atteint son record de vente hebdomadaire en 1985 avec 28.000 exemplaires, tous les nouveaux titres de presse gay ont vu depuis leurs ventes osciller entre 6.000 et 8.000 exemplaires mensuels. De plus, il est souvent reproché aux titres gays de ne pas «être assez cleans» comme on le dit chez Absolut, en soulignant que les pages regorgent de photos érotiques et de pubs pour des Minitel ou des sex-shops. Une proximité préjudiciable en termes d'image... Avec la sortie mi-juin prochain de Têtu , nouveau magazine gay lancé par Didier Lestrade, ex-président fondateur d'Act-up et Pascal Loubet, la question de la pub généraliste dans les médias gays prendra toute son ampleur. En effet, ce mensuel tiré à 100.000 exemplaires qui se veut «beau, mixte, non érotique, attrayant et revalorisant», soutenu financièrement par Pierre Bergé, compte attirer les grands annonceurs. «On se lance dans l'inconnu, avoue Lestrade, parce qu'ici, ça ne s'est jamais fait. Nous devons convaincre les publicitaires qu'ils ont tout à gagner. Car en France, à l'inverse des Etats-Unis, le lobby de la droite catholique n'est pas assez puissant pour lancer le boycott d'une marque qui annoncerait dans le milieu gay.» Mais si ce magazine réussit son pari, il est certain que les conséquences rejailliront sur l'ensemble des titres. Car pour l'instant, le principal obstacle au développement de la pub à destination des gays reste l'absence d'études de marché sérieuses. Ainsi, annonceurs et publicitaires s'interrogent sur le poids réel de ceux qu'on appelle aux USA des gays «Dink» pour «double income no kids»: couple gay sans enfants aux revenus supérieurs à la moyenne de 30%. Pour Eric Bastard, directeur des relations publique chez Sony France, «l'homosexualité touche toutes les couches de la société, et l'image du gay urbain à fort pouvoir d'achat et grand consommateur ne me semble pas représentative. De plus, les gays, par leur faible nombre, ne peuvent être considérés comme une microcible pertinente». Ainsi, si la Gay Pride parisienne a réuni 20.000 personnes en 1994, celle de New York en a rameuté pas moins d'un million. Ce qu'on confirme chez Levi Strauss, en disant que «la population des Etats-Unis est si importante que cibler une minorité est plus facile. En plus, rien ne prouve pour l'instant l'importance culturelle et financière des gays en France». Pour l'instant, seul le cabinet Axes a lancé une étude sur le marché gay pour tenter de le cerner. «C'est une première en France, explique son directeur, Fabrice Heran-Guyader. Ce travail d'observation et d'analyse par étude qualitative a pour but de savoir s'il existe spécifiquement ou pas un marché gay et, si oui, la manière dont il faut l'aborder.»

 

www.erikremes.net