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Affaire Céline, homo donc pédo ? Gay Infos 1993

 



Après une instruction de plus de quatre ans et quinze jours de débats devant la cour d'assise de l'Isère s'est tenu le procès du viol et du meurtre de la petite Céline Jourdan le 27 juillet 1988. Ce procès a mis en lumière une justice malade. Dans le box des accusés, deux hommes: Didier Gentil, 24 ans, un zonard de passage à la Motte-du-Caire, "à la limite de la débilité" comme le décrit un expert; et Richard Roman, 29 ans, un homosexuel "arriéré affectif, schizoïde, avec une "personnalité pathologique, anormale à tendance sadomasochiste", comme le décrivent les psychiatres. Ce procès a donné l'impression que Roman était jugé d'avance. Au lieu de prouver sa culpabilité, la justice exigeait qu'il démontre son innocence. Toutes les pièces du dossier devait coller, quitte à les forcer, au puzzle de sa culpabilité: interrogatoires musclés: à force de lui répéter que s'il s'obstinait le chef allait faire une "bavure", Roman répéta docilement ce qu'on attendait de lui; des procès-verbaux manipulés; des gendarmes qui font pression sur les témoins pour rendre les témoignages concordants avec l'accusation; l' aveuglement médiatique. En quatre ans, pas moins de cinq magistrats vont suivre cette affaire. Et, pendant le procès, on a l'impression d'assister à la première enquête réellement approfondie. Sa marginalité, Roman l'avait choisie. C'est peut-être cela qu'on ne lui pardonnait pas. Comme si il était le seul accusé qui vaille, Gentil fut comme absent des débats. L'homosexualité des deux accusés? Gentil déclare au sujet de sa relation avec Roman que "nous n'étions pas des homosexuels normaux. On était chacun dans nos pensées. Beaucoup de mots, pas de geste". Sur la scène du viol: "je pensais que j'étais en train de me farcir Roman". "Vous auriez voulu?" demande très doucement le président. Didier Gentil se trouble, bafouille que "ça ne se commande pas". Me Garaud, quand à lui, se délecte de relire trois fois de suite les aveux de Roman: "j'étais en érection sur 25 cm et je n'ai pénétré l'enfant que sur 10 cm" : la justice phantasme. L'avocat général Legrand redresse la barre. S'adressant au "directeur d'enquête", le procureur Weisbush, il demande "comment se fait-il que quand deux individus sont en garde à vue pour une affaire de viol, on vérifie d'abord la béance de leur anus et leurs éventuels rapports homosexuels? Qui a demandé de tels examens? Qui a posé des questions sur le gigantisme du sexe? comment examine-t-on la vie privée des gens avant leur incrimination? On a le droit d'être homosexuel, pas de tuer les petites filles". Maître Legrand: "ce n'est pas le procès de l'homosexualité, tout de même". Cette phrase résume, en partie, l'affaire et maître Legrand a su éviter que ce procès soit celui de la marginalité et de l'homosexualité. Il a fallu trois semaines pour que la justice, sauvée par l'avocat général Legrand et par le président Fournier, passe aux aveux et reconnaisse qu'elle s'est trompée jusque dans ses méthodes. Comment s'empêcher de penser qu'il doit exister d'autres Roman, qui moins chanceux sont, eux, en prison. La famille a fait bloc contre ce verdict; mais, tout le monde n'est pas à même d'avoir les mêmes appuis pour faire advenir la vérité. Roman aura perdu, tout de même, quatre années de sa vie. Cette affaire était viciée à son origine. La marginalité et l'homosexualité des deux accusés sont venues en surimpression sur les faits incriminés, comme une loupe déformante; tout comme dans les jugements récents du "tueur de vielle dame" Thierry Paulin et de "l'incendiaire de Belfort". Alors que la vielle institution psychiatrique ne définit plus, depuis peu, notre sexualité comme une maladie mentale, les experts psychiatres des tribunaux s'en donnent à coeur joie pour nous affubler de qualificatifs réducteurs. On imagine leurs répercutions dans l'opinion publique. Un glissement qui commence à devenir classique: homo donc pédophile donc pervers donc violeur donc assassin. REGARD DE PSY Hubert Lisandre est psychologue clinicien et membre-fondateur du CFH, le Centre Freudien des Homosexualités. Il nous livre ici ses impressions sur le procès des meurtriers de Céline Jourdan. Gay News: que représente pour vous l'association homosexuel-pédophile? H.L: C'est quelque chose dont on est jamais sorti, comme en témoigne l'affaire du pasteur Doucé. Dans notre société post-freudienne, qui admet, théoriquement qu'il existe une sexualité infantile, la pédophilie n'est pas comprise ni acceptée. Le procès permanent de la pédophilie, illustre bien qu'en réalité on exclu que l'enfant puisse avoir un désir sexuel. cette sexualité infantile que l'on a pas admise, on va alors la projeter sur le pédophile et l'homosexuel. Gay News: Que vous inspire ce procès? Hubert Lisandre: Je me pose une question: qu'est-ce qui fait qu'on s'interroge sur des choses qui n'ont rien à voir avec les faits incriminés? Qu'est venu faire l'homosexualité dans ce procès? Nous avons à faire à une logique de groupe qui n'est pas forcément lié au problème de l'homosexualité. Un groupe constitué rejète toujours la faute sur l'extèrieur. On croit toujours à ce que l'on veut bien croire; que l'on fait partie du camp des bons et que l'autre est forcément dans celui des mauvais. Les habitants de la Motte-du-Caire en sont une bonne illustration. En fait, ce n'est pas surprenant. C'est le même problème que pour l'antisémitisme: on est en train d'être stupéfait qu'il y ait des manifestations antisémites. Mais, c'est le contraire qui serait étonnant. Jusqu'à une période récente, il y avait certaines pressions imaginaires qui étouffaient ces mécanismes. Elles sont en train de sauter pour plusieurs raisons. Ce qui semble être une résurgence de ces phénomènes est simplement quelque chose qui réapparaît Dans cette affaire, l'homosexuel était perçu comme le meurtrier en puissance. Mais cela peut aussi bien fonctionner pour les francs-maçons, les juifs ou les arabes. Il faut toujours trouver des boucs-émissaire. L'antisémitisme, c'est comme l'homophobie et tous les racismes: cela correspond à un mécanisme psychologique fondamental : le narcissisme. Gay News: Comment aller à l'encontre de tels phénomènes? H.B: même des mesures politiques ne pourraient en venir à bout. Cela fait tellement partie intégrante du fonctionnement démocratique. Prenons l'exemple du sida. Si les messages de prévention sont en grande partie destinés à éviter l'exclusion, cela signifie que là aussi l'exclusion peut surgir. Le discours humaniste est de très peu de poids par rapport aux mécanismes élémentaires de l'exclusion. Pour l'affaire Céline, la rumeur a parfaitement fonctionnée: plus c'est faux, plus c'est énorme, plus ça réalise un phantasme et plus ça marche. Mais cette rumeur a été contrée par la rigueur de la justice, même si ce n'est pas toujours le cas. C'est un signe que le mécanisme juridique mis en place, malgré sa lourdeur ou à cause d'elle, ne se laisse pas infecter par la rumeur.

 

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