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MODIFICATIONS CORPORELLES TATOUAGES, PIERCING, SCARIFIACTION, CUTTING ET BRANDING 2

 



TATOUAGES, PIERCING, SCARIFIACTION, CUTTING ET BRANDING, 2

Le marquage du corps repose sur de très nombreuses motivations. On peut noter les aspects sociaux, esthétiques mais aussi les raisons personnelles, érotiques et sexuelles. Mais également initiatiques, qui donnent à l'individu un nouvel état de maturité. C'est un signe particulier qui identifie et indique le passage à un nouvel état, l'accès à une nouvelle identité. La marque apparaît aussi souvent comme protectrice. La peau qui est déjà la protection naturelle du corps contre l'extérieur se double, par le marquage d'une protection culturelle. Tout comme l'animal qui balise son territoire, l'homme délimite son propre terrain, sa peau.

Dans de nombreuses tribus primitives, les rites de modifications du corps servaient à tester la capacité d’endurance à la douleur. Une scarification, par exemple, ne prenait tout son sens et sa beauté que par la souffrance qu’elle représentait. Paul Bohanan, dans Marks and scarifications among the Tiv (, Los Angeles, 1988) explique « un jour, j’ai demandé à un groupe de Tiv si la scarification n’était pas trop douloureuse. Ils me regardèrent, à juste titre, comme si je n’avais rien compris. “Bien sûr” déclara l’un d’entre eux, “bien sûr que c’est douloureux ! Quelle fille regarderait un homme dont les cicatrices ne lui auraient causé aucune douleur ?”. Les scarifications, l’une des plus belles décorations, se payent de la souffrance ».

Face aux diverses crises de la représentation de soi, le corps se pare de nouveaux ornements : tatouages, piercings et autres marques de la peau comme le branding (marque au fer chaud) et les scarifications (cicatrisation). « Devant l'impuissance à changer le monde, l'individu change son propre corps » annonce l'américain Fakir Musaphar, l’un des précurseurs du Body-Playing. « Dans notre époque post-moderne, dans laquelle tous les arts du passé ont été assimilés, consommés et dupliqués, le dernier territoire des créateurs reste le corps humain ». C’est la communauté gay, SM et les hétérotechnos qui ont popularisé ce phénomène de modification du corps.

Avec l'émergence du sida et cette présence de la mort en creux, ces marques prennent une dimension d'autant plus profonde et dense que le corps apparaît comme putrescible. Toutes les marques du corps relèvent de nombreux champs. Champs du religieux et de la spiritualité; du statut et de l'identité sociale; de l'ornement mais aussi, bien sûr, de la souffrance, du plaisir sexuel et de la jouissance. Mais ces signes distinctifs sont aussi poétiques et métaphysiques. Beaucoup de marqués élèvent le corps au rang de médium artistique voire d'œuvre d'art. Mais ces signes provoquent aussi une mise à distance et un refus de la norme. Fakir Musafar donne plusieurs signification aux marques : « le signe de l'esclave, le titre de propriété d'un objet, la marque d'un intrus ou d'un persona non grata; marque impliquant le passage d'une tranche de vie à une autre, la marque d'un courage individuel ou d'un rang, d'une caste. Ou encore, le signe d'une expression artistique; une création poétique qui est toujours plus que ce quelle montre. Mais aussi la souffrance comme expérience personnelle; nouvel érotisme ».

La marque embrasse alors l'identité commune de la douleur et du plaisir, de la raison et du délire. Quand on parle des ces signes, on ne peut occulter les références ethnologiques et les coutumes tribales et primitives : des aborigènes australiens, des tribus du Pacifique, d'Afrique ou des Indiens américains, etc... Références paradoxales puisque plus les marques apparaissent dans nos sociétés occidentales, plus ces cultures primitives tendent à disparaître. La marque, par son caractère universel, s'inscrit dans la peau des hommes, unissant d'un même lien civilisations modernes et cultures primitives. C'est pour cela que l'on parle de « modernes primitifs ». Fakir Musafar explique : « à l'époque des ordinateurs, de la télévision et de la conquête spatiale, il semble paradoxal que de telles pratiques barbares soient le centre d'intérêt et de signification de quelques uns ». Notre époque de représentation redonne au corps toute sa place. Longtemps ignoré, voir méprisé dans une perspective d'opposition à l'esprit, le corps recouvre aujourd'hui sa suprématie.

Au « je pense donc je suis » caractérisant la prétention de l’humain à tout maîtriser, s’oppose le « j’ai un corps donc je suis ». Car si l’homme est un « animal qui pense », il n’en reste pas moins un animal, proche de la bestialité. Il désire se libérer de son « humanité », d'où l'intérêt constant pour tout ce qui touche à son apparence et à sa bonne santé. Le corps redevient medium d'expression et relationnel. Notre époque redonne au corps toute sa place, et en apparence sans fausse honte. Alors que pendant longtemps, il a été ignoré volontairement, parfois méprisé, dans une perspective dualiste qui l'opposait à l'esprit. Nous assistons aujourd'hui à son émancipation, sa libération. D'où cette recrudescence d'intérêt pour tout ce qui touche le corps considérée notamment comme mode d'expression de l'homme et comme système de relation. Dans cette hypothèse, les signes corporels traduiraient un nouveau mécanisme d'expression de l'identité des individus passant par la verbalisation et la symbolisation du signe. Beaucoup de tatoués invoquent le désir de valoriser leur corps d'une manière belle et décorative. De nos jours, alors que tant de choses nous échappent, le tatouage devient la revendication du droit et du pouvoir de modifier son corps, donc de le maîtriser. Et par là, la possibilité d'exprimer sa personnalité par ce médium.

« J'ai un corps donc je suis ? » Un corps travaillé, à fabriquer, à se réapproprier. Un corps à dompter, mettre tant de temps à accepter. Un corps enfin, oui, enfin, malgré tout et rien, aimé. Accepter mon image, assumer cette image donnée aux autres : flamboyante, piercée, tatouée : une carapace pour se protéger, corps d'adulte et d'enfant. Un corps marqué, tatoué, piercé pour se défendre d’un monde trop dur et violent. Mon corps séropositif déjà dépouille bientôt cadavre, aliéné à mon être, à ma vie et à la mort. Corps impatient, objet de tant d’attentions. Un corps VIH qui change : les autres ne sont plus les mêmes, le temps n’est plus le même. J’ai changé de monde. Corps Seropo ergo sum.

Un corps phallus, un objet de désir, de plaisir forcément. Corps des autres, de mes amours: caressés, massés, aimés. Etre enfin libre dans mon corps et ma sexualité. La liberté de la sexualité. Corps actif et passif : pénétrant et pénétré. Corps exploré par des pratiques qui le pénètre. Voyager à l’intérieur du corps. Là où le Sexe en érection s’arrête dans le cul, la main du fisteur s’avance, l’eau du lavement pénètre et remonte les intestins. Cette queue qu’on aime tant, on la pénètre d’une sonde de 40 cm. Ce n’est pas la queue qui baise, c’est elle qui se fait baiser. Faire l’Amour comme un spéléologue pénètre la terre... Et ce désir des corps, toujours présent qui me traverse et me scande. Ces corps qui se suivent et se ressemblent, s’enchâssent, s’assemblent, s’emboîtent et s’encastrent. Et se lassent. Continuer inlassablement, courir de corps en cris puisque c’est à travers eux que je m’érige. Gobant l’autre, suçant les âmes et leur enveloppe pour m’en repaître. Un Désir en chute perpétuelle qui se casse et se tue à chaque rencontre. Puis renaît et bande. Et si le corps et l’agir passait avant l’esprit et la pensée ? J'ai un corps donc je suis, oui-oui !

 

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