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Erik Rémès bourreau le temps d'un livre
Barbares
Mis en ligne le 07/02/2012
Erik Rémès Barbares
"Je dis : « Interdiction de parler, de demander quoi que ce soit. Tu porteras ta cagoule en permanence ; interdiction de dormir. On va bien s’occuper de toi, sale pédé?! Tu ne quitteras jamais cet appartement. Bientôt, tu seras mort. » Tu essaies de marmonner, de te défendre, mais tes gardiens hurlent pour te faire taire. Puis, ils te frappent. « Tout le monde possède des peurs qui remontent à l’enfance. Ces craintes doivent être utilisées contre toi. Connaissez ces phobies : mutilations sexuelles, physiques, terreur de devenir aveugle, affaiblissement, agonie prolongée. Trouvez-les et jouons avec contre toi. »
"Barbares", c'est l’exposé scrupuleux et extrêmement violent du rapt d’un homo par une bande de cité (inspiré du meurtre du jeune juif Ilan Halimi par le Gang des Barbares de Youssouf Fofana).
Avec ce nouveau roman, Erik Rémès nous offre un texte déstabilisant dans lequel le lecteur est confronté "de l'intérieur" à l'homophobie violente et meurtrière, puisque c'est le Barbare qui parle. Avec sa violence. Ses mots. Sa vision du monde.
L'auteur se défend de toute provocation et affirme "dépeindre un univers fou sans le juger". Interview.
e-llico: Pourquoi avoir choisi ce fait divers terrible lié l'antisémitisme et l'avoir transporté dans une thématique homophobe ?
Erik Rémès: Pour ses répercussions dans l'opinion publique. Il faut préciser que Youssouf Fofana ne savait pas au départ qu'Ilan Halimi était juif. Une partie du Gang ne l'a jamais su. C'est un fait divers crapuleux qui a été monté en meurtre antisémite par les médias et le gouvernement. Ce kidnapping a aussi quelque chose de très homoérotique et SM (parmi mes sujets de prédilections). Comme je connais bien la question gay en tant que journaliste et écrivain depuis 1991, j'ai naturellement transposé ce fait-divers en crime homophobe. Cela m'a donné plus de liberté.
Vous affirmez que le meurtre d'Ilan Halimi a été "monté" en crime antisémite par le gouvernement et les médias. Cette affirmation - qui est aussi soutenue par la défense des auteurs de l'enlèvement et du meurtre - est tout à fait discutable et contestable. D'où tenez-vous cette certitude?
De l’étude de la presse et des medias. D’ailleurs, Morgan Sportes, qui a écrit un livre sur l’affaire, déclare la même chose. Dans un interview à Fluctuanet, il dit : “à l'origine, ce n'est pas un crime antisémite. C'est par la suite qu'ils apprennent qu'Ilan est juif. D'ailleurs, beaucoup des membres du gang ignoraient cet aspect. Je pense que les médias ont voulu grossir la chose à grand coups d'éditos musclés, transformant ce drame en choc des religion manichéen, avec l'Islam d'un côté et le Judaïsme de l'autre. L'antisémitisme de ces jeunes s'inscrit dans autre chose : dans ce qu'on appelle « le socialisme des imbéciles ». Ils sont enfermé dans les clichés faciles du genre les Juifs ont l'argent, le pouvoir etc...”
Ne craignez-vous pas de jouer une fois encore avec un sujet hautement sensible et d'être accusé de le dévoyer ou de choquer ?
Je suis écrivain, je suis libre d'écrire ce que je veux. Je ne souhaite pas à priori choquer dans mes romans, je cherche à dire une certaine vérité, celle qu'on ne veut pas entendre, celle qui dérange. J'explore des sujets forts qui ébranlent la société. Comme le dit Christine Angot, "il n¹y a ni morale ni responsabilité en littérature". Ce fait divers a déjà été dévoyé par les médias et le gouvernement qui en ont fait un crime antisémite alors qu'il y a des dizaines d'enlèvements et de crime crapuleux chaque année, sans que personne n'en parle. Ça arrangeait beaucoup de monde d'en faire le choc des civilisations entre un judaïsme martyr et un islam agressif et terroriste. On a plutôt à faire à un racisme antiblanc, antiriche de la part de jeunes de banlieues qui sont refoulés de la société de consommation. Dans le livre je mets en parallèle les émeutes urbaines de 2005 avec l¹histoire
des Barabres : les exclus du système se révoltent. Et tant mieux. Je suis pour la révolution.
Le parallèle dont on imagine qu'il a pu vous inspirer entre l'antisémitisme et l'homophobie vous paraît-il pertinent en général ? Et en particulier dans un cas de barbarie comme celui-ci ?
Homophobie/antisémitisme : même combat. Même origine : la haine de l'autre et de sa différence. Le monde est plus souvent régi par la haine que par l'amour de l'autre, c¹est un fait. Ce rapt aurait pu arriver à un gay ("car eux aussi sont riches et puissants"). Notre civilisation n'a plus d'éthique ni de Dieu. Et tant mieux. Reste a trouver autre chose pour combler ce vide.
Le récit nous plonge dans la tête du barbare. Qu'avez-vous cherché à trouver, imaginer ou dire sur ce mental du barbare?
J'ai voulu décrire les choses de manières la plus simple et naturelle. C'est l'autofiction du Barbare. C'est lui qui parle. Je me suis mis dans la tête du personnage. Je ne cherche pas à lutter contre l'homophobie ou l'antisémitisme. Je souhaite seulement dépeindre un univers fou sans le juger. C'est ce qu'il y a de terrible dans ce livre : l¹absence de jugement. Barbares est un livre-choc, révoltant, dégoutant. Il faut être fort pour pouvoir le lire. Ce n'est pas à la portée de tout le monde, comme ces lecteurs qui ne veulent entendre que de jolies histoires avec des sentiments baveux et plats. Oui, la vie est difficile aujourd¹hui, mais ce n¹est pas une raison pour être aveugle à la réalité.
N'y a-t-il pas une forme de fascination ambiguë dans cette plongée dans l'univers psychique et sexuel du barbare?
Certainement. J'ausculte la part obscure de l'homme et de la France. C'est la déliquescence de notre société qui est responsable de ce rapt et de son dénouement. Ce Barbare est complètement fou, mais aussi très fascinant et c'est ce qui est troublant pour le lecteur. Il se met à la place du Barbare et devient un bourreau le temps d'un livre. Qui plus est, ce roman porte une forte charge érotique et sadomasochiste qui peut exciter, c'est un comble. C'est assez révoltant. Ce livre est aussi l'histoire d'un drame SM qui a mal tourné entre un maître et son esclave.
Y a-t-il toujours chez Érik Rémès une recherche de la provocation du lecteur?
Non pas du tout, je cherche la liberté et espère en faire profiter mon lectorat. Enfin si un peu, j'apprécie bien les polémiques et le bordel qui en découle. J'écris des livres-chocs. Mais de nos jours, je ne tiendrai plus du tout le même discours sur le bareback qu'à la sortie de «Serial Fucker». Je me suis calmé (je suis traité pour troubles bipolaires). Aujourd'hui, je ne rentrerai pas de plain-pied dans les conflits. Mais c'est vrai que j'aime bien ouvrir ma gueule, c'est mon devoir d'écrivain. Je ne suis pas sur terre pour pondre des romans à l'eau de rose. Je suis un auteur underground. Je n'écris pas pour l'argent, mais pour l'art. Je suis un artiste, un contestataire, un poète. Je suis le morpion de la littérature.
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