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interview paru sur http://www.froggydelight.com/article-7131-Erik_Remes.html Interview réalisée par Thomas Dreneau et Nicolas Brulebois Erik Rémès Interview (Paris) 13 juin 2009

Erik Rémès est l’un des écrivains gays les plus marquants de cette dernière décennie. Trop souvent réduit à une déclinaison extrémiste de Guillaume Dustan (qui l’a publié dans sa collection Le Rayon), il dépasse en réalité le cliché provoc’ et propose une œuvre riche et diversifiée, allant de l’autofiction à la fiction, en passant par l’essai théorique, revendicatif et préventif.

Soucieux d’approfondir la connaissance de son univers, nous l’avons rencontré à son domicile parisien, le 13 juin dernier. En dépit de l’image violente véhiculée par certains de ses écrits, nous avons eu la (bonne) surprise d’y découvrir un homme affable, tout à fait décontracté et apparemment revenu de sa traversée des enfers…

Dans cet entretien au long cours, il revient sur sa vie, sa vision de la littérature… mais aussi sur certains sujets qui fâchent : la polémique bareback qui lui colle encore à la peau ; et l’abandon de son roman en cours, basé sur un sujet trop sulfureux (le Gang des Barbares) pour qu’un éditeur ose le publier…

Enfin, il donne un avis sans langue de bois sur le milieu gay actuel, la collection littéraire (Le Rayon) qui l’a vu débuter… et bien entendu, sur celui qui fut à l’origine de son aventure éditoriale : l’écrivain, homme politique et "tueur" Guillaume Dustan…

Qu’est-ce qui vous a poussé vers l’écriture ? Quel a été votre parcours avant d’en arriver au premier roman ?

J’ai toujours aimé écrire. Au départ, ça a été de la poésie. J’écrivais très court. J’avais du mal à m’étendre. J’ai alors fait des études littéraires. Enfin, littéraires… Plus précisément psycho et philo, pour lesquelles j’ai eu mes deux maîtrises. Je suis ensuite monté à Paris, où j’ai été journaliste. Donc avec le journalisme, j’ai en quelque sorte continué mon apprentissage de l’écriture.

Journaliste, dans quelles revues ?

La presse gay au départ, notamment Gai Pied. Ensuite, Libération, où je suis resté quatre ans.

genre d’articles écriviez-vous dans Libé ? Des comptes-rendus de manifestations gay ?

Non, c’était plutôt axé vie, société… Il y avait même de la mode. Bien sûr, il m’arrivait d’écrire sur le milieu gay & sida, mais ce n’était pas exclusif.

quelles ont été les figures littéraires les plus influentes pour vous ?

ç’a été le grand choc. Yves Navarre, aussi, que j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois. Voilà, ce sont les deux principales influences en français.

Peut-être aussi Vincent Borel, dont vous parlez dans Serial Fucker ?

Vincent Borel, non, c’est différent. J’avais lu son livre "Un Ruban Noir" en 96. Je commençais juste à écrire le mien, et en lisant ça, je me suis dit : bon, c’est possible de faire ce que je veux…

Mais alors, le début proprement dit de l’écriture romanesque, de ce qui allait devenir Je Bande Donc Je Suis, c’est quelle époque ?

Il y a des textes que j’avais écrit dans les années 90, et même avant, que j’ai regroupés, qui m’ont servi à son élaboration. Mais j’ai vraiment commencé à l’écrire en 96. Après l’avoir lu, Guillaume Dustan voulait me le faire éditer dès 97… Mais il a finalement fallu attendre 99, date du lancement de sa collection Le Rayon Gay, chez Balland.

Combien de refus essuyés avant de réussir à faire éditer ce livre-là ?

J’ai dû avoir une quinzaine de refus.

Avec le recul, qu’est-ce qui fait selon vous l’originalité de Je Bande Donc Je Suis ?

C’est un premier roman. Donc, j’y ai mis toutes mes tripes. Néanmoins, il ne fallait pas que ce soit un "one shot" : je voulais pouvoir continuer ensuite.

Comment s’est passée la relation avec Dustan, en ce qui concerne la correction et l’édition du roman ?

ne voulait pas sortir Je Bande donc je suis dans les premiers titres du Rayon. Il ne voulait pas que sa collection soit labellisée "hard" d’emblée… Alors il a attendu la deuxième fournée éditoriale, pour le publier.

Sur le plan rédactionnel, il m’a demandé de modifier certaines choses. A l’origine, Je Bande Donc Je Suis était écrit sur deux niveaux de lecture. Un premier niveau "je", et un autre où je parlais du héros en disant "il". Dustan m’a demandé d’abandonner le "il" et de tout faire en "je" de type autofiction.

Justement, ce terme d’autofiction, vous le revendiquez ?

Je ne me revendique pas de l’autofiction dans la mesure où il y a toujours eu beaucoup d’imaginaire dans mes romans, beaucoup de fiction. Je n’ai jamais collé à la réalité, loin de là.

Quelle a été la réception de ce livre ?

Surtout communautaire, mais plutôt bonne.

Il a fallu sortir rapidement Le Maître Des Amours en raison du succès de Je Bande Donc Je Suis ?

Oui… C’est d’ailleurs un regret : je l’ai écrit trop vite, et la qualité du livre s’en ressent. J’ai respecté les impératifs posés par Guillaume, alors que j’aurais dû prendre plus de temps… Mais j’en ai écrit une nouvelle version, totalement revue et corrigée, que je sortirai sans doute bientôt.

En 3 ans passés au sein du Rayon, vous avez remarqué une évolution dans la manière d’éditer de Guillaume Dustan ?

Le problème de Dustan, c’est qu’il vivait aussi de ça (il recevait un cachet à chaque titre publié). C’était devenu pour lui quelque chose de très commercial : il était obligé de sortir beaucoup de livres pour vivre. Et puis, il y avait aussi le fait que sa collection lui permettait d’avoir une vitrine médiatique. En parlant de la collection, on parlait de Dustan. Donc, il y avait à la fois un côté altruiste (donner la parole à de jeunes écrivains), mais aussi totalement égocentrique qui correspondait bien à la personnalité de Guillaume. De faire parler de lui, avant tout de lui, de se servir des autres pour lui-même.

Vous lui en voulez pour ça ?

Non, pas du tout. Je connaissais Guillaume comme être humain avant qu’il soit éditeur. C’était sa personnalité.

Mais Le Rayon, vous en pensez quoi globalement ?

Il y avait des bouquins que Dustan ne lisait pas entièrement. Il y a par exemple un auteur qui a reçu une carte postale de Guillaume lui disant, une fois le bouquin sorti : "je viens de lire ton livre, il est très bien !"… (rires de N.B.). Il les lisait en diagonale.

Le Rayon est pourtant une belle collection… Selon vous, elle a eu une importance dans la vie littéraire française ?

Littéraire, non, mais, dans la communauté, oui, je pense.

Quels livres ou auteurs de cette collection vous ont marqué particulièrement ?

Hervé Brizon, La Vie Rêvée de Sainte-Tapiole, qui était très bon mais n’a débouché sur rien d’autre ensuite. Egalement, les écrits théoriques de Béatriz Preciado, Manifeste Contra-sexuel.

Quand des écrivains hétérosexuels (Nicolas Lejeune, Cécile Helleu) ont rejoint Le Rayon, vous avez eu l’impression que cela trahissait l’esprit d’origine ?

Non, c’est pas ça… Cécile Helleu était la meilleure copine de Dustan et Cécile Helleu a hébergé Guilaume Dustan. Voilà !

Pier-Angelo Polver (autre auteur découvert par Le Rayon) m’a dit qu’il n’y avait pas de correcteur chez Balland, que Dustan faisait tout lui-même…

Colette passait derrière lui, s’occupait de la mise en page, et un peu de la correction aussi. C’était une toute petite maison d’édition, effectivement : il y a avait une secrétaire, le directeur commercial, la maquettiste correctrice, et c’est à peu près tout. Guillaume n’avait même pas de bureau : il travaillait dans une salle de réunion…

Peu d’auteurs du Rayon ont eu, comme vous, une suite dans leur carrière littéraire…

C’est comme je vous disais tout à l’heure. Il y a eu beaucoup de one shot. J’ai été un auteur plus médiatisé, je faisais pas mal de télé.

Vous aviez aussi un côté sulfureux. Cela vous a peut-être donné une plus grande visibilité…

Et puis, les thèmes abordés. J’ai parlé du bareback, c’était un sujet de société plutôt explosif. Guillaume avait déjà eu des soucis, parce qu’il abordait le sujet de la baise sans capote des séropositifs dès son premier roman Dans ma chambre. Après Je bande donc je suis, il y a eu les premières attaques…

Quand on parle d’Érik Rémès, il y a toujours cette idée reçue qui revient : le fou furieux, le successeur extrémiste de Dustan…

Ce n’est pas moi. C’est la position de l’écrivain. Je l’ai bien cherché aussi. Je suis allé loin. Je vais avoir du mal à me défaire du personnage, mais je le revendique complètement.

Concernant le bareback, justement : on a l’impression, en lisant le Guide du sexe gay, que vous aviez en réalité une position plus nuancée par rapport aux extrêmes caricaturaux représentés par Didier Lestrade (ange) et Dustan (démon)…

Effectivement, le Guide était un ouvrage informatif et préventif, donc modéré. Mais dans mes romans (notamment Serial Fucker), je me sens tout à fait dans la caricature, dans les extrêmes et dans la mauvaise foi. Je me suis senti attaqué, j’ai répondu.

Justement, votre troisième roman, Serial Fucker (sous-titré Journal d’un Barebacker), avait été refusé par le Rayon, qui le jugeait trop sulfureux. Vous avez rompu avec Guillaume Dustan, à cette époque ?

Pas du tout. On continuait à se parler et à se voir.

Quels avaient été ses arguments pour légitimer son refus ?

Il se dédouanait sur le directeur de Balland qui ne voulait pas prendre de risques.

Au sujet du bareback, vous et Dustan avez été démonisés par Act-Up et certains organes de la presse communautaire gay. Quelques années plus tard, les bureaux de votre nouvel éditeur (Blanche) ont même été dévastés par des activistes à cause de ça… Avec le recul, vous en gardez quelle impression ?

Je n’aimerais pas le revivre. Je l’ai fait, je ne le regrette pas du tout, mais disons que maintenant je ne suis plus dans un rapport de violence avec le monde.

Cependant, quand on lit la plupart de vos livres, jusqu’au récent Kannibal, cette violence paraît encore présente…

Cette violence dans mes livres… C’est vrai que je suis quelqu’un de violent, mais j’essaye d’être le plus zen possible en vieillissant.

On a l’impression que c’est un thème récurrent dans vos romans Je Bande Donc Je Suis et Serial Fucker : chaque fois, vous partez d’une origine violente pour atteindre progressivement l’apaisement…

La rédemption, oui. Dans mes romans, j’expose le côté sombre de l’être humain. Avec les trois guides sur la sexualité que j’ai écrits, en revanche, je propose quelque chose de beaucoup plus positif et constructif. Je tire vers le haut !

Dans une émission de Thierry Ardisson (diffusée en 2004 et encore visible sur DailyMotion), vous disiez avoir connu une période de dépression, au moment de la rédaction de Serial fucker, et que par la suite vous étiez finalement passé de l’ombre à la lumière…

Je sortais beaucoup ; je prenais pas mal d’alcool, beaucoup de drogue ; je fumais soixante cigarettes par jour ; mon copain était en train de mourir ; moi, j’étais séropo depuis dix-quinze ans. C’est vrai que c’était assez noir, et que maintenant je me suis purifié de tout ça et que je vois les choses de manière différente.

Lorsque dans cette émission télé, vous vous retrouvez face à des olibrius (Gérard Louvin, Dany Brillant, Anthony Delon, Laurent Baffie) qui réagissent de manière épidermique et vous conspuent sans écouter… vous en ressortez détruit moralement, ou au contraire régénéré par tant de bêtise ?

En fait, en 2004, je n’avais pas voulu répondre à la violence par la violence. Je sortais le Sexe guide, et je voulais donner une image positive. Cela peut paraître stupide, mais je ne voulais pas répondre à cette violence verbale. Maintenant ce serait différent : à l’agression, je répondrais par l’agression aussi.

Depuis que vous écrivez des guides sur la sexualité, la polémique s’est-elle calmée avec Lestrade et les membres d’Act Up ?

Oui, tout ça s’est calmé. Moi-même, je me suis retiré, et normalement je ne parle plus de ça. Je refuse toutes les demandes pour parler du bareback.

Pour revenir à une thématique plus générale : est-ce qu’on peut dire, sans faire de raccourci abusif, que le sexe est l’élément central autour duquel s’articule votre œuvre ?

Effectivement… La sexualité est vraiment quelque chose qui me définit très fortement, en positif ou en négatif. C’est un archétype, ce que je vais dire… mais je pense que le sexe représente la part animale, sombre, inconsciente de nos âmes. Par la sexualité, qu’elle soit déviante ou pédagogique, on arrive à atteindre une vérité de l’homme.

D’ailleurs, vous manifestez déjà cette volonté de vous trouver/définir, par le titre de votre premier livre, Je Bande Donc Je Suis.

Au départ, Je Bande Donc Je Suis aurait dû s’appeler Seropo Ergo Sum… Mais oui, la sexualité définit l’être humain, plus qu’on ne le croit. Et c’est pour ça que j’ai fait une formation de sexologie il y a trois ans avec Jacques Wainberg (de l’université Paris VII Jussieu), afin d’avoir une base un peu plus théorique pour mes écrits ultérieurs.

Vos essais sur la sexualité ont-ils marché ?

Osez… les conseils d’un gay pour faire l’amour à un homme (éditions La Musardine) marche très bien. Il a été traduit en espagnol, et continue à bien se vendre. Quant au Guide Du Sexe Gay, il vient de sortir en poche.

Et le Sexe Guide ?

Le Sexe Guide a moins marché.

Dans deux de ces ouvrages (Osez les conseils… et Sexe Guide), vous donnez des leçons de sexologie aux lecteurs hétérosexuels. Vous-même, qui vous définissez avant tout comme un écrivain gay, avez-vous déjà des relations hétérosexuelles suivies ?

A l’âge de vingt, vingt-cinq ans, je suis resté trois ans avec une fille, oui. C’était pour essayer, et aussi parce que la personnalité de la fille était intéressante, évidemment. Mais les guides de sexologie sont écrits par des femmes qui parlent de la sexualité des hommes, et par des médecins qui n’ont touché qu’une femme dans leur vie ! Je pense qu’on peut arriver à une universalité de la sexualité malgré une expérience qui penche plus d’un bord que de l’autre.

Vous avez testé toutes les pratiques décrites dans le Guide du sexe gay ou le Sexe guide ?

Je n’ai pas tout testé ! Par contre, il y a beaucoup de pratiques que j’avais étudiées, notamment, pour Gai Pied. En 1992, par exemple, j’avais fait une double page sur la scatologie… Ensuite, il y avait le projet d’une revue SM Projet X qui avait été montée par le même groupe que Gai Pied. Idem, j’y ai écrit pas mal de choses.

Je travaillais à l’époque par minitel. Je posais des questions, je disais que j’étais journaliste et que je voulais rencontrer des gens. Je leur parlais par téléphone ou alors les gens venaient. Par exemple, pour les jeux avec les sondes urinaires [l’une des pratiques les plus extrêmes relatées dans ses ouvrages, NDLR], un mec est venu. Dans le studio de Gai Pied, pendant que les photographes s’activaient, il m’a montré comment tout ça fonctionnait… Et puis, on a fini par baiser ensemble.

Tous ces articles publiés, vous comptez les réunir un jour en recueil ?

A titre perso, j’ai recueilli mes anciens articles, oui. Cela servira peut-être plus tard. Ce recueil, je comptais l’appeler Pride ; mais finalement Pride sera plutôt le titre de mon prochain roman.

Le prochain roman… vous voulez dire après "Barbare"…

Non, ce livre sur le Gang des Barbares, je n’ai pas réussi à le faire éditer. Il est écrit, mais on l’a trouvé trop violent.

Même les éditions Blanche ?

Blanche n’a même pas voulu le lire. Voilà. Je n’ai pas insisté non plus.

Avec le procès de Youssouf Fofana, ils ont considéré que c’était trop proche de l’actualité, que ça risquait de provoquer encore des remous ?

C’était délicat : il y a déjà deux ou trois bouquins qui sont sortis, dont celui de la mère d’Ilan Halimi, des témoignages… Moi, j’étais dans la fiction : je prenais la place du Barbare. Tous les bouquins qui sont sortis étaient à charge contre Youssouf Fofana, et moi, je parlais pour lui et j’en faisais en quelque sorte un "héros". Tout le problème était là. Pour moi, ce n’était pas une question d’antisémitisme, mais de racisme antiblanc. Il n’est même pas dit que Halimi est juif dans le bouquin.

Dans Kannibal et ce livre qui n’est malheureusement pas paru, vous partez toujours d’un fait divers. Pourquoi ?

Toujours cette idée de travailler sur la folie de l’homme… Le fait divers à l’origine de Kannibal était le suivant : le type a passé une petite annonce disant qu’il voulait manger un homme… et quelqu’un y a répondu positivement ! Les deux folies s’étaient correspondues. Et avec le Gang des Barbares, pendant l’année 2006, on est arrivé à un degré d’inhumanité insensé….

Qu’allez-vous faire de toutes ces pages amassées pour ce livre Barbare, apparemment impubliable ?

Je vais en faire autre chose. Comme je disais, cela va s’appeler Pride. Ce sera un double récit : la libération d’un militant politique et radical gay et, en même temps, le récit d’une séquestration homophobe. Je vais revenir à l’autofiction, réactiver mon personnage BerlinTintin. Et reprendre les pages sur la séquestration d’Ilan Halimi pour en faire une séquestration homophobe.

Où en êtes-vous de la rédaction ?

J’ai déjà les deux tiers. J’ai repris plein de textes que j’avais écrits à droite à gauche. Parce que la libération passera par une libération politique et militante : le mariage gay, l’homophobie,... On dira que c’est un livre assez réactionnaire. Il faut que je réécrive toute la partie sur Youssouf Fofana…

Blanche est sur le coup ? Ça leur plaît ?

A priori oui.

En matière de travail éditorial, quelle différence y a-t-il entre Le Rayon et Blanche ?

Éditions Blanche sont aussi une petite maison d’édition. Franck Spengler (l’éditeur) est hétéro. Il a une famille. C’est un mec très ouvert.

Quels conseils vous donne-t-il ? En quoi consiste son rôle d’éditeur ?

Il parle surtout de couper. Il m’a refusé deux ou trois ouvrages. En particulier un livre que j’avais écrit sur l’hétérosexualité.

Dans quoi vous épanouissez-vous le plus : l’écriture des romans ou les essais théoriques ?

Dans les romans quand même. Avec Kannibal et le personnage de Youssouf Fofana, cela me permettait d’aller très loin dans la folie aussi. Je me suis mis dans la peau de mes personnages.

Justement, à propos de Kannibal, le livre a marché ?

Kannibal ? Pas très bien. Mais comme je suis encore tricard dans les médias…

C’est-à-dire ?

Les journalistes ne veulent pas en parler.

C’est une survivance de la polémique sur le bareback…

Qui me suis. Oui ! Depuis six ans…

Dans le milieu gay, il y a ce reste…

D’animosité ? Ouais. Mais je ne sors plus dans le milieu gay en France. Et puis, non, ça va : je suis redevenu anonyme.

Le milieu homosexuel du Marais a-t-il changé depuis le milieu des années 90 ?

Le milieu gay parisien est cher par rapport aux autres capitales européennes, et il est désormais touché par la crise. Il y a eu l’arrêt du tabac. La révolution internet qui a eu une incidence sur les lieux de sociabilité, de rencontres sexuelles, sur le marché de la vidéo, les journaux gays… Bref, tout a été chamboulé, tout est plus individualiste.

Il me semble aussi qu’auparavant, c’étaient les autres capitales européennes qui avaient une culture de la drogue ; maintenant c’est Paris qui est à fond. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il y a plus de gens qui ne peuvent plus baiser que sous substances…

À l’instar de Dustan qui croit en l’être sexuel indifférencié et de Soral qui pense que l’humanité est sur la voie de la féminisation, vous semblez croire que l’individu, par la diversité des pratiques sexuelles liées à l’imagination, n’a d’autre avenir que de devenir le même…

Dustan et Soral sont quand même de grands paranoïaques… Soral : je ne sais pas comment il va terminer. Mais ce que l’on ignore, c’est que Dustan a été interné en psychiatrie : il était sous camisole. C’était un grand paranoïaque, quoi ! Ces gens-là ont peur qu’on touche à leur intégrité. Ils sont déçus par leur propre condition.

Que pensez-vous de l’image de Dustan qui a été donnée par le livre de Tristan Garcia, La Meilleure Part des Hommes ?

Je n’ai pas du tout aimé. Tout le monde en a parlé comme d’un bouquin historique, alors que c’est truffé de contre-vérités.

Mais c’est un roman…

En même temps, le seul remerciement dans le livre, c’est à Jean Le Bitoux, qui a été le directeur du centre d’archives gay et lesbien… Les médias ont un peu présenté ce livre comme un bouquin de sociologie, d’histoire et d’analyse ; c’est ce qui me dérange. Et qui plus est : Dustan n’est pas mort du sida, contrairement au personnage principal…

Vous l’avez connu comment, au juste, Guillaume Dustan ?

Par des relations communes. Par exemple Philippe Joanny (auteur du Dindon, tragédie burlesque parue au Rayon Gay en 99).

Vous le considériez comme un ami ?

ami, non. Plutôt un copain.

Dans un mail, vous m’aviez parlé de rapport amour/haine… C’est tout de même un peu plus fort que juste "copain" !

Il provoquait des réactions très fortes chez les gens, c’est vrai…

Chez vous, quelle réaction ?

Eh bien, il n’était pas très respectueux avec ses auteurs. Il ne les accompagnait pas psychologiquement. Guillaume Dustan, il était écrivain, mais il voulait, en fait, être un homme politique. Et un homme politique, c’est un tueur. Ce n’est pas forcément quelqu’un susceptible de respecter les autres. Un homme politique manipule les autres. C’était un tueur, Guillaume. Il voulait la première place. Mais c’est grâce à lui que j’ai été édité…

Appréciez-vous ses livres, et comment avez-vous jugé leur évolution ?

Les trois derniers (LXiR, Dernier Roman et Premier Essai) me sont un peu tombés des mains. Les trois premiers qui sont parus chez POL (Dans Ma Chambre, Je Sors Ce Soir et Plus Fort Que Moi) et auxquels on peut rattacher quand même Génie divin, sont… A vrai dire, j’ai un problème avec son style je-m’en-foutiste. On pouvait voir son manque de respect des gens à travers son écriture.

Manque de respect du lecteur, vous voulez dire ?

Oui. Déjà dans les trois premiers. C’est une écriture très parlée quand même…

Et vous, vous êtes du genre à retravailler les phrases ?

Beaucoup.

L’écriture d’un livre vous prend combien de temps ?

Idéalement, j’aime bien prendre un an.

Comment vivez-vous ? Quel est désormais votre rapport à l’humanité ?

Cela fait trois ans que j’habite aux Canaries l’hiver. Je passe autant de temps en France qu’aux Canaries, et j’ai réduit au maximum mes relations humaines.

Vous préférez la solitude ?

La solitude. Oui.

Vous ne vivez donc plus en couple ?

J’ai mon ex Jérôme que je vois tous les jours… Mais ce sont des relations platoniques.

Votre vie sexuelle est moins extrême qu’à des époques antérieures ?

J’ai désormais une sexualité plus apaisée, plus classique… Plus de SM… de plans à plusieurs ?

Le SM, non, ça ne me branche plus trop. Je préfère des choses plus naturelles. Mais des plans à plusieurs, oui.

A propos de SM, vous développez beaucoup sur le rapport entre maître et esclave dans le Sexe Guide…

C’est une expérience importante. Pas uniquement le SM : je pense qu’on ne doit pas passer à côté de ses propres fantasmes, et que l’on doit tout faire pour les assumer et les vivre. C’est un truc capital.

Vous-même, après toutes vos expérimentations, il vous reste encore des fantasmes à réaliser ?

Oui, il m’en reste… (il rougit et ne s’étend pas).

C

’est trop gênant, ce que je vous demande ?

Par rapport à mon intimité que je veux préserver maintenant, oui, peut-être un peu… Avant j’exhibais tout dans mes œuvres autofictionnelles. Après, j’ai commencé à parler de choses extérieures, basées sur des faits divers. Aujourd’hui, je reprends mon personnage fétiche de BerlinTintin pour mon prochain roman Pride. Je vais être amené à parler encore de moi, et cela me pose désormais plus de problème qu’il y a dix ans…

 

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