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Une critique récente de Je bande donc je suis

 



« Métaphysique » par Thomas Dreneau

Je bande donc je suis (Balland, 1999)

“ Puissance brûlant d’une nouvelle flamme

qui n’aura d’égal que la beauté de l’âme.”

Paru dans la collection Le rayon chez Balland, Je bande donc je suis de É rik Rémès est une date pour la littérature française. Outre son succès et malgré son imperfection formelle, ce livre ne peut que marquer les esprits, parce qu’il est avant tout vivant. D’autre part, il annonce plus ou moins Serial fucker, journal d’un barebacker, ainsi que le Sexe guide, soit les œuvres les plus abouties de la carrière littéraire de É rik Rémès. Comme Nicolas Pages et Génie divin de Guillaume Dustan, Je bande donc je suis est l’affirmation d’une personnalité originale, mais ce qui me fascine plus particulièrement, demeure cette tentation implicite de la « métaphysique ».

En effet, Je bande donc je suis est une quête existentielle du sens, quête existentielle caractérisée notamment par cette interprétation donnée par la maladie, c’est-à-dire le sida. Homosexuel victime du virus, BerlinTintin/É rik Rémès ne peut remplir son au-delà spirituel que grâce à cette explicitation poussée de la maladie qui existe à l’état latent en lui. Je pourrais donc dire qu’en cela, Rémès ne se distingue guère de Guillaume Dustan ou de Hervé Guibert. Pourtant, il y a autre chose : tel Georges Bataille, ce mystique défroqué, l’auteur cherche à dépasser toujours ses propres limites. Rémès se veut libre, mais d’une liberté qui ne recule pas devant la violence — extrême ici, puisqu’il est question dans ce livre de pédophilie, d’absence complète de morale, de scatologie. Bref, BerlinTintin/É rik Rémès se propose d’atteindre peut-être — comme lui-même, chaque lecteur devrait plutôt l’ignorer, sinon résumer son besoin à la nécessité de l’Ê tre, formulation qui nous rapproche, en fin de compte, de l’étant — la « métaphysique » par la violence ou même par l’art. Il n’y a d’autre langage permis pour la « métaphysique » que l’art et surtout la poésie qui condense la beauté entière de chaque mot. Cependant, comme les mots s’amoncellent furieusement dans ce livre, Rémès nous emmène toujours plus loin dans cette recherche ontologique : le sida permet au corps d’exister par-delà lui-même. L’alcool, le sexe, la drogue forment un cercle vertueux qui outrepasse le simple oubli de toute pensée — penser est sans doute la plus horrible des souffrances — pour parvenir, malgré le peu d’espoir, à la « métaphysique ». Par conséquent, tout au long de Je bande donc je suis, Rémès s’acharne à tel point que ses dires semblent approcher l’incommunicable (à l’instar du philosophe Moritz Schlick, nous dirions que ce qui est communicable concerne strictement le langage de la science, seule source immanente de vérité).

É rik Rémès est incapable, toutefois, d’ignorer que le seul objet à sa portée est le réel en général et son propre corps en particulier. En dehors du réel et de la vie, il y a la « métaphysique », ou plutôt il n’y a rien, du fait que chaque individu qui pense solitairement sait au fond de lui-même que l’imagination qui nous rapproche le plus de ladite « métaphysique » correspond au néant ou à la mort. L’auteur, comme dans Serial fucker, journal d’un barebacker, paraît le comprendre : peu à peu, il touche à cette quiétude, à cet apaisement qui définit pour le mieux la sagesse. En refermant Je bande donc je suis, ne reste qu’une chose : le silence. Silence qui s’éloigne finalement des mots, car Rémès en est arrivé à une compréhension supérieure de la vie, et, en conséquence, de nous-mêmes.

 

www.erikremes.net