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Interview Gayvox.com Serial fucker

 



Interview Gayvox.com

Quelle différence fais-tu entre un texte littéraire et un témoignage ? Où se situe la différence entre la fiction et la réalité ? Quelles vertus peut-on dégager d'un genre à l'autre ? (Cf. p 40)

Je ne fais pas de différence entre littérature et témoignage mis à part le travail d’écriture pur du roman et d’orfèvrerie des mots. Mon livre à la forme d’un journal mais est un roman. Il a une structure très originale. Des paragraphes courts, disjoints dans le temps et l’espace. Une alternance de vécus directs et indirects, d'extraits de documents, de récits, de dialogues, de réflexions, de commentaires. C’est un roman qui part d’un témoignage perso mais qui décolle de la réalité. Je suis un des acteurs de la problématique du bareback et en même temps, témoin. C’est un roman, et même si je pars de faits et de personnages réels que je nomme, je mixe des évènements imaginaires par-dessus. C’est un mélange détonant entre un livre de journaliste (j’ai bossé à Gai Pied, Libération, Nova Mag), un témoignage perso et un roman à la construction originale. Serial Fucker est un vrai livre de société Je fais appel également à de nombreux documents sur cette problématique, comme des tracts d’assoc, des forums Internet ou des PA très juteuses... c’est un bouquin proche de la folie qui traite de notre terrible liberté individuelle. Ce roman pue la vie.

Dans quels champs se situe le débat sur le barebacking ? Idéologique, culturel, politique, social autres ? En fonction de quoi ?

C’est une problématique transversale fabuleuse. Cela touche à la vie, à la mort, au sexe, au désir, à l’amour, au respect de l’autre, de soi, à l’étique et patata. Un prétexte littéraire formidable. Aussi puissant que ne l’était la question de la pédophile dans les années 70 et provoquant les mêmes réactions violentes et hystériques. Aujourd’hui, on ne peut plus dire la vérité, on se cache derrière une hypocrisie de masse que je cherche à détruire. Quand on voit la réaction de Têtu à mon livre, on hallucine sur la liberté d’expression en France et chez les gays. Têtu s’est empressé de le faire lire par leur avocat qui nous a demandé de modifier certains passages. Ils ont fait des pressions sur mon éditeur. On a même reçu un fax d’Act up... Doustaly, le rédac chef lui a demandé : « comment on pouvait éditer un livre pareil ? ». C’est de la censure. Nous n’avons presque rien modifié mis à part des injures. Je leur pète au cul à ces folles de droite, ces hygiénistes de la pensée. Des censureuses...

La faille majeure selon toi dans la prévention sida en France ?

Le gouvernement se contrefout du sida. Il laisse faire les assocs qui ne sont plus très nombreuses et moins puissantes que par le passé. On assiste à un double retournement de situation. Avant c’était les assocs comme Act Up qui prenaient des initiatives intelligentes et c’est l’État qui freinait des pieds. Aujourd’hui, sur la prévention, Act up est totalement out, dépassé, homophobe et ringarde. Act up empêche aujourd’hui Aides de mettre en place une politique courageuse et innovante de réduction des risques qui est la seule nouveauté de la prévention. Le gouvernement laisserait faire une campagne de réduction des risques, mais c’est aujourd’hui Act up qui la bloque. Il fallait voir la dernière « AG de la prévention » organisée par les activistes. Aides a été agressée toutes la soirée. Act Up est une bande de folles aigries qui s’auto-congratulent et sont incapables d’entendre le moindre discours contradictoire. Ça leur plait : elles applaudissent comme des dindes. Ça les énervent et elles huent sans rien vouloir entendre... De la branlette de tapettes. Avant c’était Act up qui prenait des initiatives et aujourd’hui c’est Aides qui était plutôt « catho coincé » au départ qui reprend le flambeau. Aides se décoince, innove, Act up se ringardise, vire catho de droite. La réduction des risques est une réponse indispensable à la reprise des risques. Act up est « criminelle » et « irresponsable » de ne pas l’accepter. Avant j’admirais Act Up, c’était ma famille politque.

Qu'est-ce qui est le plus salutaire entre un débat publique et un tête-à-tête à propos du barebacking selon toi ?

Je n’avais jamais communiqué sur le bareback dans les médias ou télés généralistes avant l’AG des pédes en novembre 2000. Puisque Act up a voulu faire sortir de débat dans le grand public, il fallait bien que certains leur répondent. On ne pouvait pas laisser traiter les barebackers « d’irresponsables », de « criminels » sans réagir. Avant de passer au « 20 heures » de TF1 ou de faire ce livre, j’ai quand même réfléchi aux conséquences de mon discours...

L’argument qu’on oppose à une politique de réduction des risques et qu’elle peut se faire en têt à tête (lors d’une consultation, en sexo par exemple) et non par des campagnes grand public. Mais vu que les campagnes de pubs sont toujours aussi peu nombreuses et surtout aussi débiles, il faudrait quand même communiquer largement. Le relâchement de la prévention est un phénomène de masse exponentiel. Il faut donc communiquer largement.

As-tu songé à faire sponsoriser ton livre par la Marque Crisco ? (ou une autre)

La crisco mais aussi la poppers. Pourquoi pas une marque de préservatifs ? Ce roman est un livre de prévention radicale...

"Le sida, parce que je le vaux bien"Ne penses-tu pas que dire les choses ainsi, c'est tuer dans l'œuf une pratique qui peut faire fantasmer ? Ainsi décrite, réalisée dans les mots, le lecteur peut perdre l'envie d'en fantasmer. En sommes, la chose cachée, non dite, peut être plus bandante que la chose montrée, décrite…

Je ne cherche pas à faire fantasmer ou bander le lecteur dans un sens ou un autre. À lui de choisir et d’en jouir. Je laisse totalement libre l’imaginaire du lecteur. C’est un peu comme la différence entre l’érotisme et la pornographie. Il y a de tout cela dans mon livre. Nous vivons dans un monde de mensonge et d’hypocrisie. Tout mon travail tourne autour de cela : « l’obligation de vérité ». Cela ne sert à rien de cacher la vérité. Au contraire. Le mensonge tue. La vérité libère, de la honte notamment.

Ce livre dit ce qui d’habitude est innommable et inaudible. Serial fucker est drôle également, rempli d’humour noir et de cynisme. On rencontre aussi des détournements de phrases, slogans, etc... Chaque paragraphe possède un titre : « le sida parce que je le vaux bien », est le titre d’un petit chapitre sur le masque de beauté au jus.... slurp... Le lecteur est parfois obligé de rire face à des choses monstrueuses. « Le Sida, une chance dans ma vie », « Mieux vaut mourir du Sida que d’ennui”, “Le Sida, il passera par moi », « Les préservatifs, tout le monde dit non” , “Le Seigneur des anaux », « Anus Domini », « T’es monté à Paris pourquoi ? Pour attraper le Sida ». « Quand je serai grande, je serai séropositive ».

Diabolisation : Pourquoi opposer Séronegs et Séropos ? Ne serait-ce pas plutôt du côté de la capacité des uns et des autres à COMPRENDRE qu'il faudrait faire une différence ? N'est-ce pas une forme de raccourci dialectique ? (Cf. p 130)v

Mon roman est un roman noir, cynique, et radicale. Il pousse à son comble la logique auto-destructrice et de méfiance envers autrui qui s’empare de notre société. Il explore nos déviances flamboyantes. J’ai décidé d’assumer pleinement la noirceur humaine pour pénétrer au plus profond de l’âme des lecteurs. C’est un livre sur l’incompréhension et le rejet de l’autre. On ne cherche plus à se comprendre les uns les autres. Nous sommes une société égoïste.

A la lecture de ton livre "Sérial-Fucker" Journal d'un barebacker, doit-on comprendre que le ressentiment (qui peut aller jusqu'à la haine de soi) se situe dans les deux camps (Séronegs et Séropos) ? Cf. : les uns accusant les autres de ne pas se respecter, les autres montrant du doigt les uns et leur "putain de violence dans l'air"…

Si l’on pousse la logique à l’extrême oui. Mais surtout de la part des séronegs ! Je trouve qu’il est beaucoup plus facile d’être séropo aujourd’hui et de s’entreculer sans peur plutôt que d’être un pauvre séronèg qui à peur du moindre rapport sexuel et va faire ses tests en tremblant. Thanks good i’m HIV+. J’ai 38 ans, contaminé depuis bientôt 14 ans. Séropo asympto. Sous traitement depuis deux ans : bithérapie légère. Voilà 14 ans que je me défonçais la tête avec tous les toxiques inimaginables et que je barebackais à qui mieux-mieux. Que je vivais une sexualité libérée de toute prévention sans me soucier d’attraper une maladie mortelle. Je m’en foutais, je l’avais déjà. Mon traitement ? Je n’ai jamais eu d’effet secondaire. Ils ne sont pas systématiques. Ne sont pas forcément terribles. Ce serait de la désinformation que de prétendre ça. À la limite, on pousse les gens à tomber malade et à mourir à leur dire que le sida est une horrible maladie mortelle avec des traitements effroyables. Le sida, ce n’est pas que ça. On peut très bien vivre avec sous traitement. Voilà donc 14 ans que je me « surcontamine » à darladada, attrapant MST sur IST. Et vous voulez savoir l’(a)morale de l’histoire ? Mes résultats sont tellement bons que je ne prends plus de traitement. Je suis en vacances thérapeutique, oui-oui. Alors voilà, je livre juste un témoignage, un parmi d’autre. Je ne présage de rien. Je n’en tire aucune conséquence pour autrui, il ne faut en tirer aucune. Je ne suis prosélyte de rien, si ce n’est du plaisir et du bien-être. Je suis peut-être un contre-exemple, mais c’est ainsi. J’ai la chance après 14 ans de contamination d’être en parfaite santé et de ne pas prendre de traitement. Vous ne voulez pas qu’en plus je doive me faire chier avec des capotes ?

Quand tu fais "l'apologie" de l'extrême des pratiques à risques, même si tu bénéficies du prétexte littéraire, ne penses-tu pas que tu participes à une forme d'extrémisme égale à ceux qui voudraient imposer une forme de penser, une morale, un safer sexe et autre commandos anti-bareback dans les backroom ?

Je fais également l’apologie de meurtre et du suicide dans ce livre. Je ne bénéficie pas du « prétexte littéraire », j’assume totalement ce que j’écris. Mon livre fera sans doute l’effet d’une bombe dans la communauté gay. Tant mieux. On en a bien besoin, coincé entre conformisme, non-dits et désir d’intégration. C’est un peu comme pour les présidentielles, je regrette presque que Le Pen ne soit pas passé. On aurait eu une bonne guerre civile et hop !, on serait reparti sur des bases nouvelles. Là, on se fait enculer mollement par la droite réac, c’est assez ennuyeux et tout aussi dangereux. Je questionne les tabous, c’est pour cela que j’écris. Sauf que moi je me situe dans la liberation, pas dans la répression !!! Où est vraiment le côté obscur de la force ? Ou se situent le bien et le mal ? Je pose la question, je donne des infos, c’est à chacun de répondre. Et la réponse ou les réponses ne sont pas toujours celles que l’on croit ! C’est un livre totalement décomplexé, amoral, libre et sans tabous. Je suis un écrivain radical et un personnage extrémiste. Je n’aurais jamais écrit un tel livre si les barebackers n’avaient pas été attaqués aussi violemment. C’est en réaction à l’hygiénisme et les censures d’Act Up, Têtu et autres sbires communautaires que je me suis radicalisé. Cela ma rendu terriblement libre et dégagé de toute honte.

Entre l'écriture et la lecture, où se situe la psychothérapie ? (s'il y en a une)

Ce livre pose des questions fondamentales et existentielles aux lecteurs. J’ai une formation de psychologue et de philosophe. J’ai deux maîtrises. J’ai fait ma première analyse à 20 ans quand j’étais à la fac. Je ne fais pas de la littérature « plante verte décorative » mais des romans coups de poings qui rentrent dans l’âme du lecteur. J’écris avec mon sang, mon sperme et ma merde. J’écris toujours pour les autres, même si l’expression (par l’écriture ou la peinture) est un médium indispensable pour moi et ma survie. Sinon je refais une analyse avec un psy gay depuis deux ans ou j’aborde notamment la question du bareback. Ce qui m’intéresse surtout, c’est la réaction des lecteurs à cette liberté effroyable que je dévoile.

Erik avec un K, c'est une coquetterie d'auteur ou ton vrai prénom ?

C’est Eric, mais Rémès, c’est mon vrai nom de famille. Question de visibilité. On ne peut pas travailler sur les phénomènes de libération sans assumer son nom, donc pas de pseudo. Je suis pédé, séropo, SM, serial fucker, j’aime le fist, je bareback, je me suis prostitué. Tout ça, je l’assume totalement,. Cela m’a rendue follement libre et dégagé de la honte judéo-chrétienne et morale. J’essaye de poser des questions aux autres pour qu’il soient également libres, à leur niveau.

Quelque chose à ajouter ?

Souhaiter un bon voyage à mes lecteurs. Serial Fucker est un ovni littéraire hallucinant qui provoque des réactions et des émotions assez fortes, drôles et violentes. Sinon je cherche un mari, viril, barak, bm, act-pas. Je suis très câlin et romantique. Qu’il soit séropo ou pas je m’en fous, je peux mettre des capotes avec un mari. Mais bon, séropo, c’est un plus.

 

www.erikremes.net