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Journal de la démocratie sanitaire (Didier Lestrad Serial fucker

 



Journal de la démocratie sanitaire (Didier Lestrade)

CREDIT : Didier Lestrade TITRE : Hymne à la contamination

Quand vous lirez ces lignes, le dernier livre d’Eric Rémes, “ Serial Fucker – journal d’un barebacker ” sera publié aux Editions Blanche. Le livre est le dernier avatar d’un conflit qui n’en finit pas de grandir entre les adeptes du bareback et Act Up. Ce qui se confirme ici, c’est la surenchère de l’ignoble et si on m’avait dit, il y a encore dix ans, que de tels propos pourraient être publiés sans que cela ne provoque des réactions très critiques de la part de l’ensemble de la communauté sida, franchement, je ne l’aurais pas cru. En fait, c’est déjà l’opposé qui se manifeste à partir d’articles clairement positifs de la part de la presse, comme Vincent Borel dans Nova, qui trouve plutôt naturel et légitime qu’un livre de ce genre puisse être imprimé.

De quoi s’agit-il ? D’un livre qui encense, comme jamais, les pratiques sexuelles non protégées préméditées entre homosexuels connaissant ou pas leur statut sérologique. Sur le ton de la plaisanterie ou de la vengeance, des gens infectent ou s’infectent à tour de rôle et tout ceci est présenté comme si ces contaminations symbolisaient une nouvelle liberté ou, pire, l’aube d’une nouvelle époque. Eric Remes joue le jeu de la provocation jusqu’à l’extrême limite en racontant comment il s’amuse à contaminer les autres. Il parle de ses amis dont un, “ Alex, qui a réussi à contaminer une conasse d’Act Up ”. Page suivante : “ Alex m’a posté un mail sur les groupes de discussion : “ J’ai plombé une actupienne, j’ai plombé une actupienne, tralala. Sortez vos armes. La chasse aux dindes est ouverte. ” Il reçoit plusieurs mails de félicitation le lendemain.

Le livre entier attaque Act Up comme personne n’a jugé bon de le faire depuis la création de l’association. Le fait qu’Eric Remes n’ait jamais participé, de près ou de loin, à l’activisme d’Act Up pose les questions suivantes. On se demande comment vont réagir les pseudo–experts de la sexualité homosexuelle comme René Paul Leraton de Sida Info Service. Ou Eric Lamien, journaliste au Monde, qui envoie un mail d’encouragement à Eric Remes (publié dans le livre). Que pensent les psychologues dont Hubert Lissandre qui, dans les pages même du Journal du Sida, pensaient en 1997 que le relapse relevait du “ fantasme ” ? Que pensent les responsables de la DGS ou du Kiosque Info Sida qui ont travaillé avec Eric Remes en considérant que son point de vue était respectable ? Que va dire Aides, qui s’adresse aux barebackers en parlant de réduction des risques quand l’idée de base, ici, c’est la haine des autres, car comment manifester mieux cette haine qu’en contaminant sciemment ses proches ? Que va dire Act Up lors de la parution d’un livre qui détruit tout ce que l’association a pu faire en 13 ans, sans jamais accréditer la moindre avancée politique, sociale, thérapeutique ou intellectuelle ? Que vont dire les médecins qui soignent ces écrivains homosexuels séropositifs, qui leur donnent des antibiotiques contre les MST qu’ils ne cessent de développer et propager? Que vont penser les homosexuels eux-mêmes de cette parole “ libérée ” qui dédouane des gens qui s’amusent, pour leur bon plaisir, avec la santé des autres ? Que vont dire ces intellectuels d’Act Up qui n’ont jamais été capables d’accepter même l’idée du moindre zap contre Remes et Dustan, alors qu’ils ont attaqué des centaines d’autres personnes qui avaient le malheur de ne pas être homosexuelles et séropositives comme, encore récemment, Anne Hidalgo à la Mairie de Paris ? Que vont dire les gens comme Madame H ou le collectif Queer Factory, les amis d’Eric Remes, quand celui–ci dit (il parle de moi mais c’est juste un exemple) : “ Mais quand va-t-elle vraiment enfin mourir ? ” (page 86). Vous croyez qu’Act Up a espéré, un jour, qu’une personne séropositive meure du sida pour en être complètement débarrassé de son point de vue ? Je ne crois pas. Je vais vous dire. Personne ne va réagir. Act Up va se taire parce ces insultes sont la conséquence flagrante de cinq années d’inaction physique face à Dustan et Rémes. Vous avez laissé faire ? Voici votre récompense. Vous allez voir Eric Rémes sur tous les plateaux de télé et dans tous les médias mais vous ne ferez rien. Il y a encore des esprits généreux, à Act Up en particulier, qui pensent que la meilleure réponse à ce genre de livre, c’est le mépris. Mais laissez moi vous rappeler qu’Act Up n’a pas été créé pour agir sur le mode du mépris. Ce dégoût qui est le mien ne vous incitera pas à prendre position pour vous révolter. Dans cette colère qui est la mienne, je n’ai qu’une satisfaction : ne plus vivre à Paris pour voir vos visages, vos excuses, votre mutisme, votre laisser–faire ou votre désinvolture. Puisque vous ne dites rien contre ça, puisque vous pensez que tout ceci est un délire d’homosexuels vraiment désemparés, vous ne m’intéressez plus. Votre lutte contre le sida m’indiffère. Cela fait cinq ans que votre crédibilité est en danger. Aujourd’hui, elle est perdue.

 

www.erikremes.net