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En lutte contre le "fashisme". Heureusement que la réalité trompe la représentation

Aux côtés des romans que je dévore durant mes trajets en transport en commun ou le soir, une fois couché, je lis avec assiduité « Le Monde des Livres ». Je ne découvre jamais ces douze pages hebdomadaires d’affilée. Ce serait bâcler leur lecture, ne s’arrêter qu’à quelques articles au détriment du tout. La lecture est fractionnée sur la semaine. Un ou deux articles lorsque je mange en solitaire, un ou deux articles encore entre quelques pages étudiées. Cette lecture entrecoupée d’activités diverses me permet de lire ces quelques feuilles avec attention, de n’en rien rater.

La dernière parution consacre une large place au dernier roman de Beigbeder, Au secours pardon. A priori, l’auteur ne m’intéresse pas, son sujet encore moins (un talent scout en quête de la beauté russe parfaite pour une société de produits cosmétiques). Néanmoins, il y propose un néologisme intéressant : « fashisme », contraction des termes « fascisme » et « fashion ». Beigbeder avance combien on exploite le désir masculin à travers une véritable marchandisation du corps de la femme. Poursuivant dans la même veine, accordant son attention à l’autre facette de cette même exploitation mais qui tente de soumettre les femmes au désir masculin, il constate que trois milliards de femmes (…) veulent ressembler à une seule. Blonde, aux pommettes saillantes, aux yeux bleus de préférence… Même s’il provoque en faisant un parallèle avec les nazis et la race aryenne, cette uniformisation des codes esthétiques est une forme de totalitarisme.

Ce néologisme et la réflexion qui le sous-tend entrent en résonance avec une pensée personnelle.

La représentation du monde gay est à mille lieues de sa réalité, de sa diversité. Je ne prends même pas la peine de démonter la représentation du monde gay dans les média généralistes. Non, je voudrais plutôt m’intéresser à la représentation du monde gay véhiculée par ses propres média, « Têtu » en tête.

Cela fait une éternité que je n’ai plus acheté cette revue. D’abord, ce sont les couvertures choisies par la rédaction qui m’arrêtent. Le modèle de couverture correspond à des canons très définis, très précis, très étroits, de ce qu’est un homme désirable pour une partie des homos. Il est jeune, bien foutu, imberbe et mignon. Et ça s’arrête là. Cette représentation totalement univoque du monde gay et de ses désirs, cette représentation permanente d’un seul désir est du totalitarisme, ni plus, ni moins. C’est la négation complète de la réalité du monde gay dont la diversité dans la réalité dépasse mon étroite imagination mais dont je soupçonne l’existence, au travers de lectures ou de rencontres.

Je dis souvent que « Têtu » est une revue fasciste. Pas seulement en raison de ses choix de couverture. Egalement par le mode de pensée qui anime sa rédaction.

Erik Rémès est un auteur français, plutôt provocateur. Son roman Serial Fucker. Journal d’un barebacker, paru aux Editions Blanche, raconte, comme son titre l’indique, les tribulations d’un barebacker. Rémès montre une réalité, dérangeante, très dérangeante, mais une réalité tout de même. La rédaction de « Têtu » vilipende l’auteur, jette l’anathème sur lui sans jamais prendre en compte la totalité de son travail pour l'apprécier.

En effet, Rémès est l’auteur de quelques guides du sexe gay qui accordent une large place à la prévention des MST. Ces guides ne sont pas des romans mais des conseils plus ou moins avisés sur la façon de bien prendre son pied. « Têtu » n’en a cure et ne veut voir que l’apôtre du no capote.

L’attitude de la rédaction qui n’accorde aucune place à Rémès, si ce n’est pour durement le critiquer, rend tout débat impossible. Nulle confrontation des idées, des perceptions possibles. C’est une guerre frontale que mène « Têtu » contre un auteur qui n’a que son site internet pour se défendre, pour répondre. Le débat est impossible, biaisé.

Or, s’il y a bien un trait caractéristique du fascisme, c’est la dénégation de l’autre, dans sa personne comme dans sa pensée. L’action vise à exclure, à éliminer l’autre, à ce qu’il ne puisse plus faire entendre sa voix, s’exprimer, participer au débat. A contrario, la caractéristique d’un projet démocratique est de cultiver le débat, l’expression du dissensus avec comme but ultime la recherche d’un consensus, à défaut de trouver le consensus. Il s’agit d’ouvrir le cercle des intervenants et des points de vue pour qu’il y ait une recherche réelle d’un consensus. En poussant un cran plus loin, c'est moins l'objet du débat que la procédure du débat qui compte.

L’attitude de la rédaction de « Têtu » à l’égard de Erik Rémès est révélatrice d’un mode de pensée extrêmement grave, bien plus grave que le choix étriqué de couvertures uniformisées, entretenant un désir monomaniaque de l’homme jeune, bien foutu, imberbe, mignon.

Je me suis écarté de mon sujet initial. Je ferais bien d’y revenir. Entre la représentation univoque du monde gay et la réalité de celui-ci, il y a un monde. C’est cette richesse de la différence, en totale contradiction avec la représentation, que je voudrais voir montrée plus souvent, plus ouvertement, tout le temps. En attendant, il faut tenter d’éviter de subir ce « fashisme » destructeur.

 

www.erikremes.net