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Témoignage sida : Héropositif Ex equo, septembre 2001

 



En fait, je n’ai jamais vraiment cru au Sida. Parce qu’on nous a toujours fait croire à ce satané Virus, comme il faudrait croire en dieu. Virus sacré. Depuis le début de l’épidémie et jusqu’à il y a peu, le corps médical a toujours dit que ce Virus était une maladie mortelle. Et, c’est certain, quand on te dit tu vas mourir, et bien tu meurs. Moi, toutes ces mandarinades, je n’y ai jamais cru. J’ai toujours été persuadé, vu la puissance relative du Virus d’un individu à l’autre, que d’autres facteurs rentraient en jeux, physiologiques et surtout psychologiques. C’est tout bête, mais les mots ont leur importance qui définissent un état d’esprit. Ainsi, je préfère parler de VIH et de séropositivité. Parce que le VIH est un Virus, la séropositivité un état de santé et pas une maladie. Le Sida par contre c’est la mort. Les mots comme le Sang peuvent aussi être mortels. Pourtant, on ne peut pas dire que le VIH n’a pas été présent dans ma Vie de tous les jours. Présence de tous les instants, ces creux du réel qui se rétractent : les amis, les amants, Morts. Cette peur en soi de sa propre fin, immanente. Mais non-non, décidément, je n’ai jamais cru à la puissance de ce Virus. À la fin des années quatre-vingt lorsque j’ai été contaminé je m’étais donné 10 ans à vivre. Je n’ai jamais cru au pouvoir du Grand Mal. Je n’ai jamais cru ceux qui enterraient les séropositifs. Le Sida est un colocataire avec qui je partage mon existence et les murs intérieurs. Mais, c’est moi qui reste le propriétaire de mon être. C’est moi qui ai les clefs, Turlututu chapeau pointu ! Qui plus est, j’ai eu cette chance énorme de ne jamais tomber malade.

Je me suis toujours tenu éloigné de ces discours misérabilistes et morbides sur le Trauma. De cette sérodépression généralisée. Moi, j’ai toujours été séroptimiste. Ce qui, bien sûr, ne m’a pas empêché de passer par des moments de doutes et d’angoisses terribles. Avec les nouveaux traitements et les thérapies géniques j’envisage vraiment la possibilité de m’en sortir. De ne pas mourir. Pourtant, de très nombreuses inconnues demeurent encore qui relativisent ces avancées : résistances, toxicité et effets secondaires, efficacités sur les lieux réservoirs, et patati et patata ! Et puis surtout prendre un traitement à si long terme, quelle poisse ! Quand aux thérapies géniques, quelles seront les effets à longs termes de l’intrusion de Virus et de cellules immunitaires modifiés génétiquement. Mais bon, c’est déjà ça !

Ces progrès ont provoqué chez moi un questionnement existentiel radical. Puisque j’envisageais vraiment pour la première fois la possibilité de ne pas mourir, il fallait bien que j’accepte de vivre. Donc, que je réapprenne à vivre, apprenne à vivre même. Je m’aperçois maintenant que cette peur tenace de mourir n’était en fait que ma peur de vivre. Car cette possibilité de la mort donnait tout son sens à ma Vie, la définissait, la limitait. C’est la Mort qui me faisait vivre. C’est vrai, qu’aurais-je fait de ma Vie si je n’avais pas été séropositif ? Aurait-elle été plus vide de sens ? Quel chemin lui aurais-je donné ?

Et, maintenant, à avoir autant réfléchi à ma Vie et ma mort, je commence enfin à accepter de vivre. À Aimer la Vie, à m’Aimer et pouvoir Aimer les autres. J’accepte de vivre avec mon Virus. J’accepte de vivre. J’accepte mon homosexualité. Séropo, tu es un enfant désarmé, tu dois vivre et en même temps, tu es un sage vieillard, prêt à mourir. Alors, j’ai voulu remplir ma Vie au plus vite, l’exacerber. Tout, tout de suite. Il m’a fallu accepter de ne pas savoir, de ne pas tout maîtriser de ma Vie, moi qui aime tant maîtriser les choses, les plier à mes envies.

Mes amis et ma famille m’ont toujours énormément aidé. Le VIH ne se gère pas tout seul. Je veux zapper mon stress et mes angoisses. Devenir zen. Mais bon, c’est sur, apprendre à gérer ses angoisses est un travail au long court sans cesse recommencé, jamais vraiment terminé. Puis il faut aussi apprendre à les accepter car c’est un sentiment naturel. Là aussi, vivre avec. En plus, comme qui dirait, pas besoin d’être séropo pour être angoissé… C’est bêtement humain.

Le VIH n’a jamais été mon ennemi. Je ne le déteste pas, parce que s’il était mon adversaire, il serait plus fort que moi. Alors j’essaye de Vivre Avec lui, en harmonie. J’ai mis en place mes stratégies personnelles pour ne pas me laisser submerger. J’ai dû trouver une hygiène de Vie adaptée à mes besoins et à mes excès, ne pas m’enfermer. Rien ne vaut une bonne bamboula entre copains pour se remonter le moral. Un peu de drogue ou d’alcool ne fait de mal à personne. Et puis une vie sans toxiques, quelle tristesse. Autant être un hétérosexuel de base ou mourir du sida.

Est-ce que le Virus m’a empêché de vivre ou de faire quoi que ce soit ? Si j’y réfléchis bien, il me semble que le Sida ne m’a rien empêché de faire. J’essaye d’être toujours positif, de réapprendre à vivre, à Aimer, à m’Aimer et Aimer les autres, les toucher, les embrasser. Surtout, j’évite les sentiments de haine ou de violence qui font autant de mal aux autres qu’à soi-même. Je commence enfin à maîtriser et canaliser mon énergie et ma violence. Je refuse l’agressivité des autres.

Dès fois je me demande bien ce que j’aurais fait de ma Vie si ce Virus n’avait pas existé, sans cette avarie de l’être, en rase campagne la nuit. C’est vrai, pour beaucoup d’entre nous, il me semble que le Virus a servi de mauvaise conscience. Toutes ces folles qui se trimbalent avec leur pathos tel une épée de Damoclès phallique sur la tête, sans cesse à se plaindre et se morfondre sur leur sort. Qu’auraient fait tous ces professionnels de la Lutte ? Ou en serions nous de la visibilité homosexuelle ? Qu’aurais-je vécu et écrits sans mon VIH ? Mais comme j’ai toujours été extrême, dès mon enfance, je pense que sans Virus ma Vie aurait été aussi radicale. La Vie me semblait vide de sens bien avant l’arrivée du Sida. J’ai toujours aimé le questionnement existentiel. Ce mal quelconque n’a fait que précipiter ce questionnement dans le vide du Grand Tout.

Mais bon j’ai à répondre à tellement de questions urgentes, et bien que les théoriques, du style : mais qu’aurais-je donc fait de ma Vie si j’étais séronégatif, je me les carre ou je pense. Jusqu’à nouvel ordre, séropo je suis, séropo je reste !

Paradoxalement ce tremblement immunitaire ma stabilisé, m’a apporté un équilibre et une assurance formidable, réajusté mes plaques tectoniques et crée un nouveau continent de mon être. Je ne me pose plus que les questions vitales, comme en plongé dans la gueule volcanique du Grand Tout. Le Sida m’a apporté la foi. La foi en l’homme, la foi en moi. Il est devenu ce qui me fait vivre, mon énergie vitale. Le VIH aura favorisé un Travail Mental formidable sur moi-même : une véritable révolution ontologique. Mais dieu sait qu’il me reste encore des progrès à faire. C’est aussi cela qui me donne envie de vivre, pour continuer à grandir et progresser. Continuer ce fabuleux Travail Mental. Devenir un gentil garçon, heureux de vivre, positif.

Lors de ces dix dernières années, c’est comme si j’avais vécu plusieurs vies. Le Grand Mal a été la chance de ma Vie, la grande initiation. Un enseignement ou l’on apprend que rien n’est vrai ou rien n’est faux. Ou l’on se méfie de tous les dogmes, de toutes les opinions préconçues, de toutes les sciences et morales. Ou la remise en question est permanente. Le Sida m’a apporté la lumière.

Maintenant, je m’assume pleinement. J’accepte ce que je suis. Et le revendique même. Mes travers sont devenus ma force. Je laisse libre court à ma différence et la cultive. Je n’ai pas envie de me plaindre, je suis acteur de mon propre destin. Oui, peut-être aurais-je vécu des choses dures et violentes, mais elles m’auront tellement appris sur la vie. De toute manière, la violence est partout et ce monde est cruel. Oui, je peux agir sur ma Vie, je suis le maître aléatoire de mon destin. Nous pouvons tous agir sur la Vie.

Copyright Erik Remes, Edition Blanche-Balland

 

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