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Témoignage sida : Sida is disco Citegay.com, janvier 2002

 



Témoignage, les années sida ne sont pas terminées.

Une semaine digne des années 90. Lundi, crémation de mon ami Donald au Père Lachaise. Du sida. Ça redevient super à la mode. Mon bras entièrement marqué par sa main qui aujourd’hui se consume et s’insinère. Quand j’arrive devant le colombarium, ils sont tous là, les vieux potes. Heureusement que j’ai la crève, c’est un bon prétexte pour se moucher.

La liste s’allonge de jour en jour. Pogrom. Cette fois-là, c’était François. Une ecsta de trop lors. C’est Alain, son ex, qui inquiet de ne pas avoir de ses nouvelles passera chez lui. Et découvrira le corps, révulsé. La nuit se noie dans l’alcool et la drogue. Pourtant, il n’était pas plombé.

Je sors de consult. Je n’arrive pas à me débarrasser d’une syphilis mal traité. Je ne suis pas le seul dans ce cas. Les MST sont de plus en plus virulentes. Je commence a en avoir marre. Alors dès fois, je pratique même le safe sexe. Enfin de temps en temps pas plus. Après dix, vingt ans de contamination, je comprends que les vieux Poz comme moi ne se protègent plus. Malgré les risques. Par contre, que les séronègs se plombent, bien là, je ne pige pas trop. Suicidaire qu’il est notre monde. Génération sacrifié, (auto)mutilée.

Noël. J’ai passé la semaine à l’hosto soutenir Patrick. Il a un cancer de l’anus. Cool pour un pédé. On rigole : « tu vas être chic cet été à Ibiza avec ta poche ». À l’Hôpital Tenon, ça sent moche le sapin. Il fait un froid de dinde, au marrons, glacés. Mêmes odeurs, émotions analogues. J’assure. Faut, pour lui, être fort, pour la vie, malgré tout, que je maîtrise la situation. Je n’ai pas d’émotions, mon coeur est glacé, rien ne palpite, comme la terre, le sang en épine, glacé. Juste ce trouble que m’écrase devant la porte de sa chambre, les eaux qui affluent, montent par dessus la barrage. Retenir. Ne pas rompre. Cinq chimios à la queue le leu. Puis ces sapins de Noël partout, avec ces boules de merde, ces guirlandes qui puent, ces putains d’arbres qui vous réveillent le passé, dépassé. Fais chier. Juste le besoin de les saccager, pour ne plus jamais les voir, vivre sans eux, enfin libre, libéré du passé, dépassé, consumé. Oui, envie de plomber le Père Noël. Et puis Jésus et Dieu aussi. Qu’on en soit enfin débarrassé de ces emmerdeurs. Une fois pour toute. Qu’il ne nous fassent plus chier tous les ans avec leur histoire de merde à la con.

Je sors de l’hôpital avec Marcelle, la petite maman de Crevette. La pauvre femme. On tombe pile sur le 20ème anniversaire de la mort de son mari. D’un généralisé. Aujourd’hui, c’est son fils qu’elle veille. Ce n’est pas une vie. Chimio et radio sont sur un bateau... Crevette se laissait aller. Il ne prenait pas bien ses médicaments, était en échappement thérapeutique. Et il passait son temps à se défoncer, boire, se droguer et fumer. Bouffer du sexe, à en dégueuler. Il n’est pas le seul...

Sinon moi, ça va. J’ai la pêche. Je fais attention à moi, deviens zen. Enfin maintenant... Rentré il y a un an et demi sous bithérapie légère après 11 ans de contamination. Bilan parfait. Je fais du sport cinq fois par semaine ; bois peu d’alcool ; j’ai arrêté le shit (30% d’énergie en plus), le tabac (je ne m’incendie plus), juste une petite ecsta par mois. Et hop ! J’ai pris 15 kilos de muscle. Je fais plaisir à voir. Puis je vais enfin finir mes études et passer un DESS de psycho. Je viens de m’apercevoir que j’ai passé douze ans à me nuire. Mais je ne pouvais vivre qu’à me détruire. La vie n’est pas dure, elle est réaliste. Et puis je suis toujours là, heureux et en bonne santé, vivant.

Copyright Erik Remes, serial fucker, Edition Blanche-Balland

 

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