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Témoignage sida : Vivre avec... Nova Magazine, décembre 95
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Vivre avec le VIH mais vivre avant tout. Libre parole pour les personnes vivant avec le virus et leurs proches. Ecrivez-nous. Je repose le téléphone. Je viens de parler à mon copain M. qui est à l’hôpital depuis plus de trois semaines. Il va très mal et je n’avais pas pris de nouvelles depuis deux mois. Alors, il m’a engueulé de ne pas lui avoir fait signe, de ne pas avoir téléphoné plus tôt, de ne pas avoir écrit. Je réalise alors à quel point je n’ai pas assuré. Oui, pourquoi je ne l’ai pas appelé? Il me revient alors à l’esprit toutes ces plaintes de malades qui ne reçoivent pas de visite ou crèvent dans une complète solitude. Mais c’est vrai que le sida nous emmerde la vie depuis tellement longtemps que certains commencent vraiment à en avoir marre. Marre d’entendre de mauvaises nouvelles, d’avoir des copains hospitalisés à visiter, de perdre amis, amants et maris, d’aller au cimetière du Père Lachaise. Et préfèrent alors faire l’autruche. On entend des phrases type : “j’en ai marre d’aller dans les hôpitaux, de voir les copains se décharner, le sida comme notre décrépitude collective. Je préfère encore téléphoner, même si c’est un peu lâche”. Le sida, parfois, ça fait trop mal, ça vous inonde, ça vous submerge, vous délaye. Même à la télé, je ne supporte plus les images de la maladie même si je me force à les regarder pour ne pas rester aveugle. Alors, dès fois, je pleure parce que ça me renvoie trop à l’angoisse, celle de la mort. Parce que toutes les images de morts vous renvoient forcément à la votre. Pour Jean-Philippe, “certain sont terrorisés et veulent se protéger de l’angoisse et du stress parcequ’ils sont fous de malheur de voir leur copains partir. Ils veulent sauvegarder une belle image qu’ils ont de la personne. Quand tu es séropositif, tu peux trop t’identifier au malade et avoir l’impression de te regarder. D’autres se sentent trop faibles et ont peur d’éclater en sanglot. Mais pleurer devant un malade, ce n’est pas si grave que ça. C’est bizarre de penser qu’on n’a pas le droit d’être triste devant un malade. Exprimer des émotions, c’est aussi une façon d’être proche”. Dans le Marais, on ne s’effraie plus devant les visages qui s’émascient, on se dit que c’est la vie. “Tiens celui là a morflé, il ne passera pas l’hiver”. “Tiens, cet autre on ne le voit plus”. “Ah bon, il est mort le mois dernier!”. On apprend la mort de connaissances, de copains, mais la vie doit continuer. On ne s’étonne plus de rien. Les enterrements, c’est pareil, ça devient trop dur à la longue : “maintenant, je refuse d’aller aux enterrements, ça me met trop mal pendant des semaines, je fais des cauchemars. Pourquoi est-il parti si vite? Pourquoi suis-je encore là? Serais-je le prochain? Et bien sur, forcément, je pense à ma propre mort”. Parce que chaque enterrement est un peu le sien. Au cimetière du Père Lachaise, je commence à connaître le chemin par coeur. Je fredonne prières et chansons, Top Ten des crémations. Je déambule entre les tombes, additionne tout ceux qui sont déjà partis. Je songe aussi à ma propre épitaphe : “ci-gît Erik, un pédé de plus emporté par le sida”. Le Père Lachaise, c’est un peu le nouveau lieu gay des années 90. Le carnet de Libé regorge d’invitation à ces nouvelles party communautaires. Génération sida. Et on se demande bien pourquoi une limonadière n’y a pas encore ouvert une guinguette gay?Pour Jean-Philippe, “le plus difficile, ce sont encore les crémations. C’est trop long. Les psy parlent de suicide après la mort, c’est un peu vrai. Comme si on était pas assez mort pour ceux qui survivent. Au Père Lachaise, durant les crémations de séropositifs, on doit se taper du disco pendant une heure et demi. Et puis, lors d’un enterrement, on voit la complexité de la vie de la personne. On est quelqu’un parmi tant d’autres. Il ressort des tas de jalousie, d’histoires. Souvent, on préfère garder la personne pour soi-même. Faire son enterrement dans sa tête, même si c’est plus dure. J’ai un copain d’Act Up qui vient de se suicider avec un fusil. L’annonce d’un suicide, c’est encore pire, c’est tellement violent. Je ne supporte plus ça, surtout avec des armes à feu. C’est trop brutal et sadique par rapport aux survivants. Mais ça montre aussi à quel point il devait souffrir et être seul”. Copyright Erik Remes, Edition Blanche-Balland
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