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Témoignage sida : VIH Gai Pied Hebdo, juillet 92

 



Peut-on parler du Désir à la fin du vingtième siècle sans parler de sexualité donc de Sida ? Voilà comment j’entends les Années Sida : un espace ou la parole est libre, pure, lavée. Où le Je s’exprime, libéré et sans complexe. Que la main qui écrit et me guide, esclave et donc maître de mon esprit, s’emporte et m’emporte, dans un mouvement cathartique, vers des horizons, non pas meilleurs (cela n’existe pas) mais sans fin. Et puis, nos années virales, notre mémoire collective, ne peuvent parler que de ce pathos là.

Imaginons. Imaginons qu’un cancer du rectum nous couse l’anus, nous adénomise la prostate. Imaginons qu’un bus nous ampute les membres inférieurs. Imaginez que le sadique du Grand Tout vous lobotomise et mange à la petite cuillère votre cervelle. Où bien même, oulala, qu’il vous coupe ou vous couse le Sexe. D’accord, les services hospitaliers VIH sont terrifiants et traumatisants mais, pour se faire d’autres frayeurs, on peut aussi visiter ceux des soins palliatifs pour cancéreux en phase terminale. Ceux des chirurgiens orthopédiques où de jeunes et beaux garçons, en pleine santé, se retrouvent mutilés, handicapés à Vie après un accident de moto. Ou les hôpitaux psychiatriques : être dans sa tête et dans son corps tout comme dans une prison, condamné à perpétuité pour un crime que l’on n’aurait pas commis (ce pourrait être d’ailleurs une bonne définition de la Vie). Mieux encore et plus chic, au lieu de partir cet été s’ecstasyer à Ibiza ou à Sitges, partons donc en Afrique. On y verra de superbes mendiants, aveugles, rongés, entamés, n’ayant plus de doigt pour recueillir votre aumône. Imaginons que notre pathos soit à l’image de la lèpre : dans les rues du Marais on verrait des garçons et des filles corrodés, minés, les moignons aux bras et un trou à la place du nez, les yeux blancs et vitreux. Nous serions les Toutes Buboniques, bel effet. N’excusez pas mon cynisme, je vous en prie. Et puis, le cynisme, s’il est réfléchi, peut être une vision du monde positive, une énergie constructrice. De toute manière, ce Virus n’est que la face contemporaine d’un mal éternel, un prétexte littéraire romantique comme un autre, rien de plus, rien de moins. Face au vide du monde, on a juste le choix et la Liberté de mettre du sens. Là est certainement la seule force de l’homme. On fout du sens partout pour marquer son territoire tel un chien pisse, non ? Que les déterministes de tous poils, causalistes, empiristes et rationalistes viennent m’en tchatcher un brin à l’Happy Hour.

Puis, nos Années Sida ne sont pas que pathos et souffrance. Nos Années virales, c’est aussi la Vie : la bouffe, le Sexe, les copains, l’Amour, la solidarité, le boulot, l’appart, les sorties, et patati et patata ! Ce soir, j’ai mangé des pâtes en lisant mon Libé. Les pâtes, c’est mon plat national. Un de mes grand plaisir avec baiser, écrire et peindre. En fait, ce n’est pas vraiment compliqué le bonheur : il suffit d’avoir des pâtes, un mari et du papier. On dirait la recette des nems, non ? À moins que ce ne soit celle du boudin. Voilà, c’est ça, le bonheur c’est savoir faire ses nems et son boudin. À chacun de découvrir sa recette.

Copyright Erik Remes, Edition Blanche-Balland

 

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