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Témoignage sida : le mur en face Gai Pied Hebdo, mars 92

 



Je regardais le mur en face, allongé sur le divan de mon psy. Je donnais un sens à toutes les imperfections de la paroi, toutes ses irrégularités. Je disais la signification que je voyais, que je voulais. Je laissais faire, me laissais dire, sans retenue, et de toute manière je n’étais pas un garçon qui se retenais. Je n’abusais pas des mots du Grand Tout pour empêcher l’action, au contraire. Ils venaient l’éclairer, la dédoubler. J’aimais les mots, les adorais même : beaux et précieux outils du Travail Mental.

D’un côté l’acte, pure immédiateté du Grand Tout irréfléchi et tout fou et de l’autre le mot qui redouble l’acte en le médiatisant. Mot qui lui-même se dédouble indéfiniment dans ses interprétations, multipliant par là même la pimitivité de l’acte, Turlututu chapeau pointu.

Ainsi, à ce moment-là, je laissai être et dire l’acception qui naissait de la beauté insignifiante de cette cloison, de ses défauts. Je faisais de cette paroi en face la dimension plane de ma problématique. J’y voyais mes propres vices, ma précarité. Les couleurs inégales qui s’accidentent, les angles qui dévient. J’aimais beaucoup les questions et les problèmes. N’étais-je pas moi-même une erreur, un accident de la route de l’être ? Mais je trouvais cela indéniablement positif en fait. Car ce n’était qu’en posant des questions que je trouvais des réponses à la Vie. Enfin, peut-être ! Je remarquais les défectuosités du mur, les cloques du papier peint, ses boursouflures, ses crevasses, ses traces d’humidité, les pleurs de la pierre et patati et patata ! J’y voyais, oui-oui, la vulnérabilité de mon âme.

Vous dites qu’il y a un mur en face suggérât mon analyste du haut de son fauteuil. Pardon ? Oui-oui, il y en a un, et de toute part. Je ne suis peut-être même qu’un caisson. Mais je n’aime pas les murs en face. Les limites sont faites pour être franchies. Je voyais ma Vie comme un dépassement perpétuel, une lutte inlassable et indicible contre moi-même et le tout fou de Grand Tout. J’espérais la Liberté et pensais commencer à l’atteindre. Du moins y croyais-je. Mais vous êtes certain de dépasser vos limites, lâcha l’homme ? La question tomba longuement, lente et indolente, avant de s’écraser. Le sens gicla, jaillit et souilla les murs intérieurs. Les limites ? Une question qui faisait mal, j’étais tout retourné. Si les limites sont faites pour être dépassées, qu’est-ce qu’une limite, et pourquoi et comment la dépasser ? Qu’est-ce qui faisait qu’une problématique, un lieu du Grand Tout, un endroit de l’espace intérieur devenait un point d’arrêt plus ou moins infranchissable pour le sujet. Pour moi, pourtant, seule valaient la croissance et l’émancipation perpétuelle. Les limites sont la mort du sujet. Du moins, je m’efforçais d’y croire. Mais nous verrons cela à la prochaine séance dit l’homme.

Copyright Erik Remes, Je bande donc je suis, Edition Blanche-Balland

 

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