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Témoignage sida : L’impatient Ex equoi, février 99

 



La Vie c’est rempli de petits détails de rien du tout qui, parfois, vous l’empoisonnent. Tenez, quand on est séropo, même avec de bons bilans, le moindre petit bouton sur le nez se transforme en possible et horrible Kaposi. Je me touche, me palpe, m’inspecte. Je deviens mon propre toubib faisant de mon corps impatient l’objet de tant d’attentions. Je me pèse, me soupèse : Ai-je maigri ? Le moindre petit symptôme fait grosse tache de sens. C’est bien simple, quand on est séropo, on se dit qu’on n’a pas le droit d’être malade. Pourtant, ça arrive et c’est tout à fait normal. Alors, j’appelle François mon médecin de ville. Je l’aime bien. Il a beau être hétéro et séronégatif, je lui fais quand mêœme confiance. C’est important ça, la confiance. Encore faut-il pouvoir le voir. Ben merde alors ! Soit il ne consulte pas aujourd’hui ; soit il est en vacances, (c’est pour ça qu’on dit qu’il ne faut jamais tomber malade pendant les congés scolaires ; parlez en à votre Virus, il sera certainement conciliant) ; soit le pauvre chéri est surbooké vous renvoyant telle une idiote à vos malheureuses T4.

Bon ben alors qu’est-ce que je fais ? Je me mets le thermomètre dans le derrière, ça m’occupera. Boudiii, 39°! Alors, pauvre fille, je cours chez le premier généraliste que je trouve. J’ose à peine lui demander si elle s’y connaît un peu en VIH. Ben non ! Bon ben on va faire avec (comme on dit Vivre avec, ah ! ah !). De toute façon, aller voir un médecin c’est toujours un bon placébo pour ses bobos. Quand je lui demande de me faire une ordonnance pour me numéroter les T4, elle rougit comme une grosse tomate de serre. Et la voilà qui fouille son bureau comme une idiote ë pour trouver un modèle d’acte. Bon ben la prochaine fois, j’essaierai de me passer d’elle… Pourtant, trois semaines plus tard, le glagla aidant ne voilà-t-y pas que je me retape une inflammation de la sphère, ORL s’entend. Mon toubib habituel étant cette fois-ci malade (ça leur arrive aussi), je me décide à rappeler l’incompétente du mois dernier. Ah non désolé, c’est trop tard, je n’ai plus de place, rappelez lundi (il ne faut jamais tomber malade un vendredi). Vous savez, je suis séropo et je m’inquiète un peu dis-je presque honteux. Et alors ? Ce n’est pas possible !, prenez rendez-vous lundi. Quelle conasse celle là ! Alors, puisque je suis un pédé-séropo-surinformé-sur-le-Sida-, je décide de m’auto-médiquer (mais c’est un peu comme la masturbation par rapport à l’Amour à deux…). J’ouvre mon Vidal et fouille mon armoire à pharmacie. Je sais que je fais une connerie mais bon ! Je ne vais tout de même pas aller aux urgences pour une inflammation de la sphère, non ?

Quelques semaines plus tard, j’ai des nausées. Alors, je vais à la pharmacie demander des suppos. Ah !, non-non, c’est sur ordonnance ça monsieur. D’accord, mais je ne vais pas payer une consultation à 150 F pour des suppos à 15 F. Si si, sans ordonnance, ce n’est pas possible. Merde alors, je vais pas m’en faire une intraveineuse de ces suppos, fais chier ! Finalement, après quelques minutes de palabres, j’ai enfin mes suppos. Idiote ! La fois suivante, c’est mon copain qui ne se sentait pas bien un dimanche (il ne faut jamais tomber malade un week-end, na !). Alors, on appelle SOS Médecin. Deux heures plus tard arrive une sorte de légumineuse verdâtre qui, lorsque je lui ouvre la porte, manque de s’évanouir. Il devait me prendre pour un toxico en manque avec mes piercings et tatouages, ben non, je suis juste une pédale radicale, ah ! ah ! Il commence à ausculter mon pioupiou : ce n’est rien, juste une petite grippe intestinale, avec deux suppos dans le derrière ça ira (décidément, après on va dire que les pédés raffolent des suppositoires). C’est alors qu’on lâche le Mot, tel le fauve dans l’arène à T4 : Séropo. Quoi ? Mais vous auriez pu me prévenir plus tôt, c’est très-très grave, il faut tout de suite vous faire hospitaliser. Pardon ? On va bien se débrouiller comme ça. Au revoir et merci docteur. Quel gros con celui-là ! On fait quoi maintenant ? Heureusement, j’ai ma bouée de sauvetage, le Dr Dominique B. de ST Antoine, une sacrée femme. Je l’appelle, elle me reçoit sur le champ. Toujours là, disponible et souriante. Avec elle enfin, on se prend à Aimer le corps médical. Quand on est séropo, c’est bien d’avoir quelqu’un comme elle dans sa Vie. Je l’aime. Ma Dominique, est une femme géniale, je l’adore. Voilà bientôt dix ans qu’elle me suit. Elle à la cinquantaine têtue et volontaire, Ìe, couillue même avec ses 17 ans de pratique intensive du Virus et ses 30 ans d’Assistance Publique dans les pattes. Un bail hospitalier. Ma Dominique est une femme super chic qui porte Ivoire de chez Balmain et défile lors de certaines manifestations d’Act Up. Une femme toute en extrême, entre grand calme et emportement passionnel. De son premier patient-VIH en 1981 à aujourd’hui, elle a vu la maladie et ses traitements évoluer. Passer des ténèbres VIH à la lumière. Elle me gronde souvent parce que je ne me presse pas beaucoup pour faire mes bilans. Pourtant, elle sait très bien que j’ai toujours tenu à garder mon virus à distance ; que je n’ai pas du tout envie de passer ma vie dans les hôpitaux et les labos. Dans son cabinet proche de Bastille, c’est un vrai dialogue qui s’instaure. Je la respecte profondément et lui fais confiance. Pour moi, c’est une collègue de travail. Et mon job, c’est Vivre Avec.

Depuis mes plus tendres années, l’observation attentive de la vie m’avait conduit à un scepticisme critique, tendance cynique-hystérique. Oui, le cynisme et la dérision peuvent aussi être une vision positive du monde. La vie n’a pas de sens si ce n’est celui qu’on lui donne, chacun à sa manière et sa mesure : par l’amour, le travail, le plaisir et patati et patata !

En écrivant, j’ai trouvé un de ces sens fondamentaux de la vie : m’investir dans ma communauté, la servir à ma petite façon, défendre ses droits… Gueuler notre différence. Nous les folles sommes irrattrapables et tant mieux ! Non, je ne me sens pas inférieur à la norme hétérosexuelle, bien au contraire.

La mort, je m’en étais toujours posé la question, mais de manière philosophique. Je l’ai toujours acceptée, bien avant le sida. Séropositif, mon questionnement sur la vie se noyait dans une profondeur vertigineuse. La vie m’éblouissait par son vide, son noir. La question était à ma porte, je l’entendais frapper. Seropo ergo sum. Alors, ma raison d’être était de dire, de faire et d’agir quitte à tomber dans l’excès. Avec le verbe m’est apparue une autre dimension de la vie. À mon goût violent pour le désir, le plaisir et la jouissance, s’ajoutait ma passion enfin réalisée de l’écriture. Écrire pour essayer d’atteindre notre vérité, ma vérité, tout en sachant que je n’y arriverai jamais et tant mieux. Mais toujours quêter inlassablement.

C’est une écriture : agir, comme je fais l’amour à un homme, comme on vit, comme on meurt. J’écris avec mon sang, mon sperme, mon foutre et ma merde. Pour essayer d’atteindre l’au-delà du sens. Oui, écrire est bien un rapport sexuel avec le logos. Le mot est la seule force de l’homme.

Quand je vois tous les moralistes actuelles, un violent dégoût m’envahi. Par ces temps morbides, la sagesse n’est même plus un leurre, c’est un oubli, une perte de soi. J’ai toujours crié notre droit à la différence et à la jouissance. Je ne m’arrêterai jamais. Et je suis encore là à t’écrire, vivant, évitant de ne pas souiller cette page blanche d’une tache de sang.

J’attends les résultats, un peu tendu, c’est normal. Dominique B, ma toubib me parle d’un nouveau test bientôt disponible qui comptabilise la présence de Virus dans le Sang : la charge virale. Elle m’explique également que de nouvelles thérapies révolutionnaires seront bientôt sur le marché combinant plusieurs molécules. Chouette alors ! Et si on en avait bientôt fini avec ce foutu Virus ? Il faut absolument que j’en parle à mon Didier.

Copyright Erik Remes, Je bande donc je suis, Edition Blanche-Balland

 

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