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Témoignage sida : Epi Logos Gai Pied Hebdo, aout 92

 



J’ai aimé la mer et le sable, le ciel et le soleil. J’ai aimé rire, bander, jouir, souffrir et pleurer. J’ai aimé avec le temps même ceux qui m’avaient trahi. J’ai aimé ma naissance et mes parents. J’ai aimé mes belles années faciles d’étudiant, mes maîtrises de psycho et de philo ; la réflexion et la conception de l’humain et de la Vie que cela m’a donné. J‘ai aimé Béat, un zurichois, chanteur lyrique et psychothérapeute sous LSD, les acides, l’X et les régressions animales. J’ai aimé l’errance, la nuit et l’alcool, Barcelone et le Barrio Chino. J’ai aimé le Théâtre et mes années de Conservatoire, la Liberté que j’ai prise sur ma timidité. J’ai aimé exister. J’ai aimé aller voir des psychiatres dès l’âge de cinq ans, parce que ma mère me trouvait caractériel ; cela n’a servi à rien, je le suis toujours et tant mieux, je vous pète au cul. j’ai aimé les « Années Sida » de Gai Pied, y contribuer. J’ai aimé travailler en hôpital psychiatrique, à Illico, Gai Pied, à Libé, le sens que cela a donné à ma Vie. J’ai aimé me retrouver sous une rame de métro à Barcelone, j’avais dix-sept ans, en plein coma éthylique ; me retrouver en l’hôpital psychiatrique. J’ai aimé cet arabe qui m’encula pour la première fois, j’avais douze ans. J’ai aimé les emmerdeurs, les ironiques et les fouteurs de merde, être iconoclaste. J’ai aimé la crème à cul et le poppers, masser les hommes et les caresser. J’ai aimé essayer d’Aimer les femmes, Christine qui est toujours là. J’ai aimé rire, me foutre de la gueule de tout le monde et de moi-même. J’ai aimé mon suicide raté au Lexomil, faire du bouche à bouche à mon ami Gaël, mort, éjecté durant notre accident de voiture. J’ai aimé les câlins, le café du matin et la première cigarette. J’ai aimé le Sexe, les enculages, la drague et la drogue. J’ai aimé les voyages, les villes, l’Allemagne ; l’Ile de la Réunion, la Guadeloupe et l’Afrique où j’ai vécu dix ans ; l’ailleurs et les gens d’ailleurs. J’ai aimé Michel, Jacques, Bruno qui m’a plombé. J’ai aimé ma folie et mes difficultés relationnelles. J’ai aimé les bars, les malabars, mes bretelles, les grosses queues et les baraques. J’ai aimé l’argent et ma carte Bleue, les cafés en terrasse. J’ai aimé l’hôpital Saint Antoine, Saint Louis et Rotchild, Yves Navarre et Tournier. J’ai aimé taper les mecs pour les faire jouir, caresser les corps durant des heures. J’ai aimé le Winterreise de Schubert et sa tristesse sans fond qui m’apaise. J’ai aimé ma façon de mener ma Vie, sa Liberté, le Stabat mater de Vivaldi. J’ai aimé me faire payer pour l’Amour, Montpellier et Toulouse, Genet et Burroughs. J’ai aimé Amsterdam et ses bars cuirs, Barcelone, Paris, baiser et me faire enculer sans capote. J’ai aimé les hommes des magazines sur lesquels je me suis branlé. J’ai aimé l’odeur de cet homme dans le métro et le tabac à rouler Drum, Carmen et la Traviata. J’ai aimé ma violence, mes gods et ma psychanalyse. J’ai aimé les partouzes à Berlin, les orgies du cap d’Agde. J’ai aimé Socrate, Nietzsche et les Rita Mitsouko. J’ai aimé mon grand-père, qui fut ma vraie référence phallique, mettre ses cendres dans le caveau ; je lui ressemble. J’ai aimé mes échecs, ils m’ont toujours rapporté et fait grandir. J’ai aimé le non-sens de ma Vie et celui que j’y mettais. J’ai aimé mes T4 et ma charge virale, leur va et viens, leur culture. J’ai aimé la solitude et la foule. J’ai aimé mon enfance oubliée, être surpris par mon père en train de me branler, rouler mes crottes dans mon lit ; voler dans les magasins pour faire des cadeaux à ma mère. J’ai aimé Act Up et Aides et les militants de la Lutte. J’ai aimé mon éducation entièrement religieuse, être enfant de chœur, chanter dans les chorales, ne jamais y croire ; être athée, spiritualiste et humaniste, croire en l’homme. J’ai aimé être en couple et lui préparer à manger. J’ai aimé me faire agresser par quatre mecs homophobes, me prendre des coups de couteaux, me vider et dormir dans mon Sang et ma merde. J’ai aimé le fleuve Niger et les balades à cheval dans le désert. J’ai aimé les sensations fortes et les sentiments vrais. J’ai aimé mes motos et mes accidents, ne pas mourir plus tôt. J’ai aimé mes blennos et mes dames siphy, les piqûres au cul et mon VIH. J’ai aimé les tatouages et mon gros piercing au nez, le fist-fucking, les pâtes, le ketchup, le Disco, la Techno, le gin et la vodka Tonic. J’ai aimé les capotes, les pectoraux massifs et les grosses queues épaisses, les parcs et les saunas. J’ai aimé me faire traiter de folle et de tapette par ma mère quand elle a su que j’étais pédé, j’avais douze ans. J’ai aimé la pisse, la merde et les crachats, jouer comme un enfant avant la Loi. J’ai aimé marcher nu sur la plage pendant des heures, entre mer, ciel et sable, m’oublier et me perdre. J’ai aimé être extrême et radical. J’ai aimé la chaleur de l’Afrique et le climatiseur de ma chambre. J’ai aimé le Câble et les paraboles, Internet, mon Power Book et mon téléphone portable. J’ai aimé Bébé, ma petite voisine séropositive, c’est ma sœur de Sang. J’ai aimé mon hystérique de mère oedipienne et castratrice ; mon père, ses tendances paranoïdes, avec qui le courant a mis du temps à passer ; apprendre, avec le temps, à beaucoup les Aimer ; Michèle, ma sœur qui a dix ans de plus que moi et que je n’ai revus que deux fois en vingt ans. J’ai aimé déménager plus de dix fois en dix ans à Paris ; avoir enfin mon appart rue des Blancs manteaux dans le Marais, mon petit village, acheter mes meubles au BHV. J’ai aimé les gens qui ne m’ont pas sauvé, ce qu’ils m’ont donné et qui m’a sauvé. J’ai aimé mon chien Ubu ; mes chats, Paulo, Toto et ma chatte Milou. J’ai aimé les sentiments vrais et les émotions fortes. J’ai aimé l’Amour, plus que tout au monde, comme un fou, et l’amitié. J’ai aimé Pierre. J’ai aimé les rencontres par minitel, mes si nombreux d’amants à qui je me suis toujours entièrement donné. J’ai aimé être tourmenté et, malgré tout, apprendre à être serein. J’ai aimé les soirées Dispatch, Blockhaus et Hard Trash avec Bernard et Xavier. J’ai aimé le mouvement perpétuel puisque je m’y épanouissais. J’ai aimé mes amis Marc-Eric, Didier et Jean-Marie, Peter, Aleth, Jean-philippe, François et Alain, et les autres. J’ai aimé Istanbul avec Thierry du QG, ses Hammams et ses mosquées. J’ai aimé peindre et écrire, tenter d’être un poète de fin de siècle. J’ai aimé assumer ma Vie, essayer d’être libre, droit et honnête. J’ai aimé Jean-Paul, le désert et Agadez. J’ai aimé l’électricité, les bougies et le feu de bois, la lumière, l’obscurité et le noir. J’ai aimé rire et déconner. J’ai aimé mon virus. J’ai aimé vivre, jouir, Aimer et mourir. J’ai aimé apprendre à vivre et Aimer même si cela a été difficile. J’ai aimé être séropositif, l’intensité que cela a donnée à ma Vie ; tout ce que cela m’a appris. J’ai aimé brûler ma Vie, me consumer de toutes parts, vivre dans l’extrême et m’apaiser avec l’âge. J’ai aimé la Vie, ce qu’elle m’a donné, ce qu’elle me donnera encore. Je ne regrette rien. J’aimerai toujours la Vie…

Copyright Erik Remes, Je bande donc je suis, Edition Blanche-Balland

 

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