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Rencontre avec Dominique Binet, mon toubib de l'hôpital Saint Antoine.
par Eric Remes, 1995
La sidénologue entre révolte et espoir.
Le docteur Binet à la cinquantaine têtue et volontaire, couillue presque avec ses 10 ans de pratique intensive du sida et ses 25 ans d'Assistance Publique dans les pattes. Un bail. De son premier patient-sida en 1981 à aujourd'hui, elle a vu la maladie et ses traitements évoluer. Une femme chic, «parce qu'il faut toujours être beau par respect pour ses malades» qui porte Ivoire de chez Balmain et défile lors de certaines manifestations d'Act Up. Une femme toute en extrême, entre grand calme et emportement passionnel et qui a su rester cette «insupportable rouquine, révoltée qui a mis le feu au pensionnat dans sa jeunesse et était collée tous les week end».
Dès 85, elle voit l'épidémie du sida prendre de l'ampleur. Elle parle de l'espoir au tournant des années 90 avec les combinaisons de traitements. «Les anti-rétroviraux retardent la chute des T4 (cellules immunitaires) et nous avons fait des progrès énormes sur la prévention des maladies opportunistes. Mais nous sommes de plus en plus confrontés à des pathologies neurologiques et cancéreuses de plus en plus difficiles à traiter». Elle insiste sur l'augmentation de la quantité de vie mais surtout, de la qualité de vie. De l'importance de la vie sociale et professionnelle, de la nécessité de développer le mi-temps thérapeutique.
Elle a reçu l'éducation d'un "binôme équilibrant", un père antomologiste issu d'un milieu modeste et une mère licenciée en science venant de la grande bourgeoisie. L'aîné de quatre enfants, un "cancre" qui un jour, à treize ans, décide d'être médecin et là, se met enfin au travail. Une volonté de fer dont elle ne se défera jamais. Elle fait ses études à Paris, se spécialise en médecine tropicale, épidémiologie et ethnologie. Soutien en 74 sa thèse de Doctorat sur «la lèpre en Europe de nos jours», coïncidence? Après plusieurs stages en Afrique, elle rentre dans le service du Dr Payet à l'hôpital Claude Bernard. Elle y rencontre son premier malade du sida, en 1981, et «tombe de son cocotier». En 85, elle rentre dans le service du professeur Frottier à l'hôpital Saint Antoine. Alors, elle se recycle et, pour faire front, apprend au jour le jour les nouvelles pathologie liées au VIH. Dans le «berceau de l'hôpital», elle a accès à toutes les infos. En 92, elle s'installe également en cabinet libérale. Elle insiste sur la nécessité d'être en relation avec un réseau de spécialistes, du soutien psychologique. «J'ai été obligé de changer complètement de vision de la médecine, de m'adapter. On a affaire à des patients qui connaissent très bien leur pathologie, on ne peut ni omettre ni mentir. Ca désacralise le mandarinat».
Elle reçoit dans son grand appartement bourgeois du Xème arrondissement et parle des "personnes extraordinaires" qu'elle a rencontrées. Son affection pour les gays qui la remettent souvent en question et l'incitent même un jour à visiter des bars homos pour mieux les comprendre. Elle est curieuse de la vie, ouverte, "sans jugement moral et philosophique". Elle qui ne pose jamais de questions sur la vie privée de ses patients mais est à l'écoute. "Quand on soigne des malades, on n'a pas le droit de juger et de refuser leur mode de vie". Elle a créé des liens très forts avec ses patients qu'elle voit parfois depuis plus de 7 ans. A tel point qu'elle se fait parfois engueuler par ses malades «attachants/attachés». Comme lorsqu'elle part en vacances : «docteur, vous m'abandonnez!». Son affection pour son service de 30 lits à Saint Antoine, «à taille humaines», ou elle a le temps de parler avec ses patients, boire le café avec les familles, être proche des infirmières et des internes "qui font un boulot formidable".
Le Dr Binet est contente de cette rencontre parce que ça lui permet de faire un point qu'elle repousse toujours. Car du temps à elle, elle n'en a plus, entre ses consult' privés et hospitalières et son travail pour un cabinet d'assurances. Mais, son mari, dermatologue, et ses 2 enfants d'une vingtaine d'années, "très autonomes", le comprennent.
Elle aboie sur Loustique, sa chatte noire, qui grimpe sur le bureau, et peste contre l'administration. Elle parle de la nécessité d'une prise en charge globale de la maladie et du développement de l'hospitalisation à domicile (HAD) qui revient quatre fois moins chère que l'hospitalisation. "La sécu à tout à y gagner". Du manque de médecins et d'infirmières. Des tracasseries administratives : «c'est insupportable de passer autant de temps à remplir des papiers". Pour une Hospitalisation à Domicile, il lui arrive de remplir jusqu'à 17 ordonnances différentes. Qu'un médecin de ville ne puisent prescrire certains médicament que, pour l'instant, seul l'hôpital délivre. Et n'accepte pas qu'un malade doive traverser tout Paris pour se procurer des médicament à la pharmacie centrale.
Elle est interrompue sur "sa ligne rouge" par l'appel d'un de ses anciens internes en stage aux USA qui lui demande des conseils. Après dix minutes de conversation chaleureuse, elle s'emporte à nouveau contre la réunionite aiguë de l'Assistance Publique. Du paradoxe du système qui veut qu'un malade revienne le moins cher possible à la sécu, et, en même temps, qu'il faille à tout prix rentabiliser les services hospitaliers et remplir les lits. Elle voudrait que les médecins soient mieux formés, qu'ils aient moins peur de cette maladie.
«On est payé au lance pierre. La nomenclature des actes n'est pas adaptée». A l'hôpital, c'est moins de 90 F de l'heure. Ca donne, après dix ans d'étude, le 3/4 temps à 6500 F net sans compter les week-end d'astreintes non payés. La situation en libérale est guère plus enviable. Là ou un médecin de ville classique reçoit en moyenne 4 patients par heure, un sidénologue, en accueille un ou 2. A 110 F la consult et avec 50% de charge, les comptes sont vite faits : «on est payé au prix de la femme de ménage».
Pour ses malades en fin de vie, le Dr Binet ne fait pas d'acharnement thérapeutique, mais soulage les souffrances. C'est une femme pudique, qui ne veut pas dire qu'il lui arrive de pleurer. «C'est aussi parce que j'ai accepté ma propre mort que j'accepte celle des autres". Elle prend un long temps d'arrêt, "les grandes douleurs sont muettes.». Oui, elle à déjà pleuré, comme à la mort de son meilleur ami, pourtant asymptomatique, qu'elle traitait est qui est parti en quelques semaines. Il ne voulait plus souffrir alors elle lui a répondu : "si ton voyage est fini, nous poserons les valises ensemble et nous nous arrêterons là". Elle respecte leur volonté. Elle tient à ce qu'ils fassent leur testament car, "ça, n'a jamais fait mourir". D'ailleurs, le tiroir de son bureau est remplie de ces lettres. "Ca fait du bien la confiance qu'ils ont en un simple médecin comme moi». Avant, il y avait des pleurs et des cris, maintenant, il semble que "la mort soit vécue plus sereinement par l'entourage".
Une église oecuménique pour les gays.
Du 11 au 13 novembre 1994 se tenait, pour la première fois en France, le 26ème Colloque de l'Eglise des Pasteurs homosexuels, le Metropolitan Community Churches (MCC). Occasion pour cette église de faire connaître son travail auprès des minorités.
Le MCC est la fédération internationale d'Eglises Oecuméniques accueillant les minorités : divorcés, transsexuels, gays, etc... Elle compte plus de 4000 membres dans le monde. Alors que la Grande Bretagne regroupe plus de 30 pasteurs gays ou sympathisants, en France, un seul Pasteur fait vivre cette église, Caroline Blancot. Elle travaillait avec le Pasteur Doucet depuis 1979 au Centre du Christ Libérateur (CCL) et a fondé le MCC France en 1992 après la disparition (toujours non élucidée) de celui-ci.
Le Congrès du MCC a été l'occasion pour une centaine de personnes, hommes et femmes, gays et lesbiennes, Protestants, Catholiques, Anglicans ou Chrétiens sans religions, de se retrouver et partager leurs expériences. Des moments de ressourcements également grâce aux ateliers de théâtre ou de parole sur le sida et le couple.
Chris est en Faculté de Théologie et sera Pasteur dans deux ans : «Une église comme la nôtre est utile à tous ceux qui désirent vivre leur spiritualité tout en ayant un vécu ou une sexualité différente. En France, nous avons un milieu gay assez développé avec des associations, des établissements mais peu de lieux où vivre sa spiritualité (mis à part le MCC, David et Jonathan et le Beit Haverim, ndr). Beaucoup d'églises accueillent les homosexuels comme des malades. Je fréquentais une église Baptiste et lorsque j'ai parlé de mon homosexualité, on m'a demandé de changer et dit qu'on prierait pour moi...». En effet, si la Fédération Protestante de France, FPF, est plus «libérale» que les catholiques sur la question de l'homosexualité, elle n'en condamne pas moins ces «déviations». Pour la FPF, «Il n'y a pas de raison de suspecter les relations homosexuelles de dérives perverses plus importantes que celles liées aux pratiques hétérosexuelles. Mais, ici comme là, on ne peut admettre des pratiques qui détournent la sexualité de son sens fondamental qui est l'accueil et le respect de l'autre. Aussi faut-il condamner toute violence faite à autrui, que cela soit sous couvert de liberté hétérosexuelle ou de libération homosexuelle.» (extrait du texte : «homosexualité : éléments de réflexions» voté par la FPF le 4 juin 1994). Chris devient passionné : «Quand je serais Pasteur, j'irai aux devants des gens et des minorités. Mon plus grand bonheur, ce sera de donner la bénédiction à des couples gays qui ont besoin d'être regardés par Dieu.»
Christelle et Irène ont été unies par le Pasteur Caroline Blancot en juillet de cette année. Christelle, noire antillaise de confession musulmane est mère d'une petite fille de trois ans: «Moi, j'ai toujours voulu me «marier», être reconnu comme un couple hétéro. Caroline nous a suivi pendant plus d'un an . Nos parents ont bien pris notre homosexualité et notre couple, par contre, ils ont très mal réagi à notre «union» et ne sont pas venus à la cérémonie.»
Caroline Blancot est un tout petit bout de femme au grand coeur. Elle regarde affectueusement Christelle et Irène : «Je reste très prêt des couples que je bénie, nous devenons amis. On oublie que les gays ont une spiritualité . La liste d'attente pour les unions est pleine jusqu'en mai 1995. Je suis le seul Pasteur du MCC en France, ce n'est pas toujours facile : déjà je m'occupe des minorités et en plus je suis une femme. Quand nous serons plusieurs, ce sera plus facile.
Je me bats pour le droit à la différence. Je rencontre d'autres pasteurs pour leur parler d'homosexualité et tenter de les faire évoluer. Je ne comprendrai jamais pourquoi toute société, qu'elle soit catholique, protestante ou sociale, soit contraire à la différence uniquement par méconnaissance. Avec le flux d'informations que nous recevons de nos jours, on devrait évoluer positivement et j'ai plutôt l'impression que la société régresse. Comme chrétienne, je ne vois pas plus pécheur un homosexuel qu'un hétérosexuel.Tous les deux et tous les autres, les transsexuels, les bisexuels... Tous, Jésus est venu les sauver, et il n'a pas dit de se convertir à une religion, encore moins de changer de sexualité, de politique ou de tradition, parceque cela n'est pas important : il nous a commandé d'aimer Dieu le Père avant tout, d'aimer notre prochain, et de nous aimer nous même.»
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