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Portrait du président de sida info service par Eric Remes, liberation 1995

 



Portrait du président de sida info service L'indépendant du sida par Eric Remes, liberation 1995 Rencontre avec Pierre Kneip aux assises de Aides à Lilles en septembre 1992. Le Directeur-Fondateur de Sida Info Service est un bel homme fier de son indépendance qui n'hésite pas à se démarquer des biens pensant du sida. Après huit ans passés à Aides et à la tête de Sida Info Service (le N° vert d'information et de soutien), Pierre Kneip est rétif à tout ce qui ressemble au «prêt à penser sida». Surtout quand il émane d'associations comme Aides ou Act Up qui s'auto-désignent comme porte parole des malades. Il ne veut pas qu'on parle pour lui. Il s'étonne de leur «positionnement politique», lobbyiste, qui ne produit plus rien en terme de soutien individuel. «Rien de ce que dit Aides publiquement ne m'aide en tant que malade du sida». Il refuse qu'on parle de «maladie du siècle». Il récuse les slogans d'Act Up du genre «on va tous crever» : «ça ne donne aucune perspective d'avenir aux malades». Pierre Kneip, responsable d'une équipe de 450 écoutants, est un homme de cinquante ans, charmeur, qui reçoit simplement en jean et tee-shirt dans son bureau-un joli bordel- donnant sur le cimetière du Père Lachaise : il ironise et trouve ça «assez drôle». Pierre qui n'hésite pas à se montrer critique vis à vis des pouvoirs et des contre pouvoirs du sida et veut se démarquer de la «nomenklatura sida». Il n'admet pas que l'argent du Sidaction, un an après, tarde à être totalement affecté vu la lenteur administrative d'Ensemble contre le sida, alors que «6 mois, un an, c'est énorme pour un malade; il a le temps de mourir». Mal pensant dans sa propre chapelle, il croit «qu'on parle trop et trop mal du sida». Que c'est une «priorité de santé publique sans que l'on sache pourquoi, ni par rapport à quoi». Pierre sent qu'on atteint un pallier et a peur que «l'on réévalue tout cela à la baisse». Il aimerait bien que cette «foutue maladie» change de nom. Parce que «quand on a le sida, on a plus que le sida. Ce mot est trop chargé de ses représentations négatives, de mort à court terme». Il s'emporte contre le diktat et le «pessimisme» des statistiques qui voudraient qu'après dix ans de contamination «on est obligé de mourir parce que c'est une moyenne...» C'est très tôt que Pierre a apprit à «tenir» face à la violence et à l'angoisse. Un jour, il avait six ans, un car de police est venue le chercher à l'école et il s'est retrouvé à l'Assistance Public. Il n'a jamais revu ses parents ni su pourquoi... Il conserve depuis le souvenir de sa mère concierge et de son père tailleur, un ouvrier cultivé, qui lui racontait des histoires. Il ressent encore la violence de l'Assitance, ce «cauchemar». Il le rapproche aujourd'hui de l'indifférence et des lenteurs de l'administration en matière de sida. «Avoir été pupille de l'Assistance, c'est comme être noir, pédé ou marginal. Ca apprend à encaisser les coups...».Le petit Pierre a été placé chez une nourrice dans la Sarthe et s'est investi à fond dans l'école. «j'ai compris que c'était le seul moyen pour ne pas être écrasé par la chaîne sociale». Chemin faisant, il passe par l'Ecole Normale d'instituteur. A 18 ans, c'est l'arrivée à Paris, sa «révolution sexuelle». «Je n'ai plus eu besoin d'être un bon élève pour vivre. j'avais un métier, instituteur et, du coup, je pouvais m'intéresser à d'autres choses. A mon homosexualité notamment» dit-il le sourire au lèvres. Heureux de sa liberté de mouvement, de se promener à toute heure du jour et de la nuit. Après mai 68, Pierre est instituteur dans «des boites à bac», avec des «petits bourgeois». Ensuite, volte-face, il sera prof dans des LEP avec des populations difficiles. Près de vingt ans d'enseignement. Mais, être anarchiste comme on l'est en 1968 et son refus de l'autorité lui valent de souvent changer d'établissement... Au mois d'août 85, un médecin lui annonce sa séropositivité. Par téléphone. Ca le «rabote dans tous les sens». Très vite, il adhère à Aides. S'occuper directement des malades aurait été trop dur pour lui alors, il devient «écoutant-répondant» à la permanence téléphonique de Aides (à l'époque une toute petite structure qui sera à l'origine de Sida Info Service, SIS) . Une motivation «égoïste» d'abord, puisque il faudra bien qu'il s'approprie, pour lui même, l'information dont il a besoin pour renseigner les autres. Mais motivation également politique, écho de la «militance gay». Pierre sera écoutant durant trois ans. Puis Aides lui demandera d'analyser et de formaliser les données des appels, cela aboutira à une brochure sur les permanences téléphoniques. En 89, il franchit le pas et devient responsable bénévole de la permanence. Le besoin de développer ce service qui ne peut répondre qu'a très peu d'appels se fait vite sentir. Il doit se battre pour convaincre et mettre en place ce qui deviendra la SIS. Convaincre l'Agence Française de Lutte contre le Sida mais aussi Aides où certains vont se sentir dépossédés. «Dans le sida aussi, il existe une «logique d'appareil» où l'intérêt de la structure prévaut sur ses réalisations..». Même Daniel Defert (fondateur et premier Président de Aides), son «accoucheur intellectuel», «n'était pas très satisfait que ce service soit créé en dehors de Aides». Et Kneip qui ne s'imaginait même pas devenir proviseur, se retrouve «catapulté» directeur d'une entreprise qui désormais s'appelle SIS. Il a dû tout apprendre : administrer, négocier, porter son équipe. Mais ça ne l'empêche pas de garder une distance vis à vis de sa fonction : «je ne prends pas de grand plaisir dans l'exercice d'un pouvoir». A l'époque, il était «très très amoureux» d'un garçon malade, «je voulais m'occuper de lui». La SIS a ouvert le 13 novembre 90, son ami est mort quatre jours plus tard. Faire le deuil a consisté dans cette «période malheureuse» à travailler «jusqu'à en être abruti». Il travailla donc. Un quasi sacerdoce où se mêlent engagement personnel et professionnel : «le travail a agi comme une éponge pour le chagrin». Des 6000 appels annuels de la PTL en 1989, SIS est passé à près de 500 000 en 1994 grâce à ses 150 salariés, en renfort des 250 bénévoles de Aides et aux 8 pôles régionaux. Et bientôt, SIS ouvrira deux lignes spécialisées en direction des populations migrantes et des personnes touchées. Alors qu'il est socialement intégré (il touche 16 000F mensuel), il revendique toujours sa liberté. «Si le sida a restreint mon autonomie, il n'a pas enlevé ma liberté». Il est vrai qu'avec une longue perfusion quotidienne, des chimiothérapies et un cathéter à demeure, on a de quoi se sentir physiquement moins libre. «Las», il songe à passer la main, «parce qu'on ne peut pas s'occuper d'un tel service à temps partiel». Mais il disait déjà la même chose il y a quelques années, alors peut-être sera-t-il encore président dans 5 ans. Et, face à la honte qui entoure encore cette maladie, il dit que «l'important pour vivre ou survivre c'est d'être convaincue de la valeur de sa personne. De même qu'on parle de Gay Pride (fierté gay), pourquoi ne parlerait-on pas de Self Pride». La fierté de soi. Libé, ........1995 Pierre Kneip est mort du sida le 2 décembre 1995. Le sida, aux suivants.

 

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