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L'enterrement du président d'Act Up Paris Liberation 27 octobre 1994
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Act Up orchestre la dernière manif' de son président défunt. par Eric Remes, liberation 1995 Quelques trois cent militants et sympathisants d'Act Up ont participé hier aux obsèques de Cleews Vellay, mort du sida le 18 octobre 1994, à 30 ans. l'ex-président de l'association activiste de lutte contre le sida a été incinéré à 15 heures au cimetière du Père Lachaise. Dès 9 heures, ils étaient 200 peut-être trois cent, rassemblés devant le centre gay et Lesbien (CGL) de la rue Keller, qu'ils bloquaient. Des militants d'Act Up Paris, des sympathisants, des représentants d'association de lutte contre le sida, et d'autres encore, connus ou inconnus, le regard en berne. Une foule hétéroclite, quelques personnages maquillés. Des homosexuels mais aussi des hétéros, des jeunes et des vieux, garçons et filles. le centre a aménagé pour ce deuil, un petit salon de recueillement au fond duquel repose le cercueil, recouvert d'un drap noir frappé d'un triangle rose. pendant deux heures, chacun est venu rendre un dernier hommage à "l'ex-présidente", ce féminin qu'il revendiquait quand il était bien vivant, il clamait, "je suis une folle". des cartes postales ont été distribuées, à adresser au Premier Ministre : "cette mort aurait pu être évitée si des efforts avaient été entrepris dans les domaines de la prévention, de la recherche et des soins. En vous obstinant dans cette politique indigente, en ne prenant pas la mesure de l'urgence, vous êtes responsable des morts d'aujourd'hui et de celles de demain". Les visiteurs ont défilés, parfois les larmes aux yeux. Au café du coin, bondé, on vient se préserver du vent glacial. Accoudé au comptoir, un homme, étranger à cette assemblée, demande à voix haute à un militant de quoi est mort Cleews. Ceux qui sont là et qui savent, parce qu'ils sont là pour ça, sourient mal. A 11 heures, le cercueil est porté dans le corbillard et les drapeaux se lèvent, et les pancartes tenues à l'effigie de l'ex-président. Au verso, un texte : "Cleews et 25 000 personnes sont mortes en France du sida. Elles ont été tuées" ou encore : "Cleews avait 30 ans. Il attendait l'allocation adulte handicapée depuis un an". Deux vieilles dames, sur le trottoir, regardent la foule : -"c'est qui, qui est mort?"; -"Ben, la présidente des homosexuels". Un grand drapeau, noir et rose comme celui qui enveloppe le cercueil et portant le prénom du défunt, précède le cortège qui s'ébranle sur l'avenue Ledru-Rollin, et la srtidence des sifflets déchire le silence et les tympans. Alors, quelques uns pleurent. Dans la montée de la rue de la Roquette vers le cimetière du Père lachaise, le service d'ordre, militant, bloque les rues au passage du cortège. La police, qui attendait bien plus de monde, coopère avec une bienveillance qui étonne. Une militante : "ils ont du recevoir des consignes, pour être aussi calme avec nous. Ca change". A cinquante mètres de l'entrée du cimetière, le cercueil est à nouveau porté à bras. Cleews est dans la rue, comme lors de toutes ces manifs si caractéristiques du "style" Act Up. la violence, aujourd'hui, c'est cette mort qui marche au mugissement d'une cinquantaine de cornes de brumes qui l'accompagne. le son recouvre tout. Dans le cimetière, près du columbarium familier, toute l'assistance a pénétré. Une voix : "on vient tellement souvent ici qu'on devrait monter une guinguette gaie". Dans la chapelle du crematorium, il n'y a pas assez de chaises. les proches de Cleews prennent la parole. L'hommage durera deux heures d'émotion, avec des larmes et des rires provocateurs. Jusqu'à pouffer quand Philippe Labey, le mari de Cleews, s'excuse du choix musical de la cérémonie, "mais c'était la musique qu'il aimait". Jimmy Sommervile, Sheila, Dalida. Son infirmière : "j'aurais un regret toute ma vie. celui de ne pas t'avoir dit que je t''aime". Les discours sont traduits en langue des signes pour les sourds. Un proche du défunt : "l'hécatombe n'est pas devant nous, mais autour de nous. Il n'y a plus d'urgence, c'est déjà trop tard. Simone Veil nous a envoyé un télégramme pour dire que maintenant, elle comprend l'urgence du sida. Mais il faudra combien de mort pour qu'ils comprennent tous? Je veux transformer ma colère en force violente pour la balancer à la gueule des pouvoirs publics." Entre ces moments où l'émotion se noue et se dénoue, la chapelle est envahie de disco. La violence, puis le calme, les pleurs et les rires, très Act Up, jusque et surtout pour les enterrements. Line Renaud : "j'admirais son regard et sa révolte. Il a été un déterminant majeur du sidaction. cela n'avançait pas. Et là, il s'est levé, il a tapé sur la table et il a crié : "merde, vous ne voyez pas que je suis en train de crever?" et là, les choses se sont débloquées. Je lui ai téléphoné trois jours avant sa mort; il m'a dit que tout allait bien". Elle pleure. Didier Lestrade, fondateur et premier président d'Act Up, raconte comment Cleews a été un des premiers à rejoindre Act Up, et la place énorme qu'à prise l'association dans sa vie. Puis, grave : "je suis le seul survivant des premières réunions.". En intermède musical, Marilyne Monroe, I wanna be love by you, avant d'autres mots, de colère maintenant, contre le pape, "salaud", et Mitterand, "assassin". A 15 heures, les discours cessent, et Cleews va être incinéré. Le four est chaud. Libè, le 27 octobre 1994.
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