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Les exclus du sida Eric Remes, liberation 1995

 



Rencontre avec Farid, Sylvie, Paul, Brigitte... Exclus du sida. Siloé, un lieu d'accueil non spécialisé qui reçoit une population de jeunes majeurs en errance. La plupart d'entre eux sont séropositifs ou malades du sida. Une association de loi 1901 qui compte plus de 500 membres. Une dizaine de jeunes discutent autour d'un café. Une ruche, une fourmilière. Les éducatrices s'affairent : cadrer Cécile qui délire sous l'abus de médicament, engueuler Farid qui rate ses rendez-vous, rassurer Fred dont l'appartement a brûlé la nuit précédente, aider Sophie a démarrer la machine à laver, donner un ticket restaurant à Vincent, répondre au téléphone. Siloé, un lieu d'accueil pour les exclus du système social implanté en plein quartier chaud de Pigalle, entre prostituées, dealers et noctambules. La plupart sont malades du sida ou séropositifs. Une large vitrine ouvrant sur la rue. En rez-de-chaussée une salle blanche . Au premier étage : des salles de vie, des bureaux pour les entretiens, des ordinateurs, un minitel et un téléphone pour les recherches d'emploi. Plus de 200 M2. «On reçoit des jeunes désinsérés, toxicomanes et souvent séropositif. Des jeunes en errance, vivant dans les squats ou SDF» annonce Sylvie Ray, directrice du Centre. «Ils arrivent de la rue dans la plus grande des précarités. Beaucoup sont héroïnomanes et consomment également des médicaments. La lourdeur des cas auxquels nous sommes confrontés se fait d'autant plus sentir qu'on se trouve face à une pénurie de réponses adaptées, surtout pour l'hébergement. Ce qui leur permet d'aller mieux, c'est la rencontre de l'autre, le suivi à long terme, le regard que l'on porte sur eux. Rien d'innovant, juste l'écoute de la souffrance et la reconnaissance de la personne dans sa globalité». Dans la journée, une trentaine de jeunes défilent, s'attardent pour une heure ou plus autour de l'immuable café. La douche est sans cesse occupée et la machine à laver le linge tourne inlassablement. Brigitte arrive mais il n'y a plus de bureau libre pour la recevoir.Reste la cuisine.C'est pas mal une cuisine pour dire sa souffrance, ses angoisses, sa solitude ; c'est sécurisant ce bleu grec, le grand jardin en face. Tout le monde se serre la main, s'embrasse, s'interpelle par son prénom. La population du Centre ne ressemble pas à l'image du «clochard qui sent mauvais dans le métro». A première vue, rien ne les distingue des jeunes en général. «Même s'ils vivent dans le métro, ils restent propres et quand ils se prostituent c'est plutôt de manière inorganisée et irrégulière». Des adultes revendiquant une vie ou une sexualité différentes de celles inculqués par leur milieu d'origine qu'ils ont quitté ou dont ils ont été exclus. Mais aussi, l'éventuel décalage à la culture d'origine. Le sida, origine de l'errance. Leurs parcours. Fragmentés à l'image de celui de Paul, 27 ans, les traits amaigris par le sida, il fréquente le centre depuis 3 ans : «Ma vie? Mes parents m'ont chassé, puis la rue, les foyers d'urgence, l'hôtel, la prison. Et la dope, les sevrages, les post-cures, les maison de repos, le sida, l'hôpital et tout le tralala de merde». Le parcours de Farid, d'origine maghrébine, bisexuel et non toxicomane, que le père avait chassé de la maison à l'annonce de la maladie, parce qu'il l'interprétait comme une punition divine. Ou bien Paul dont l'amaigrissement et l'apparition d'un Kaposi lui a valu son licenciement d'un grand restaurant parisien. Et encore tous ces garçons qui se sont retrouvés à la rue après la mort de leur ami qu'ils avaient accompagner jusqu'à la mort... Le sida facteur de réintégration. Paradoxalement, c'est par le biais du sida que certains bénéficient d'un revenu régulier; d'une couverture sociale; d'une possibilité de reclassement professionnel s'ils ne sont pas trop malades pour envisager de retravailler ; de l'octroi éventuel d'un logement social pour lequel ils peuvent constituer un dossier. L'Allocation Adulte Handicapé (environ 3000 f) peut également être versé pour ceux qui ont un sida déclaré ou bien qui ont fait une tentative de suicide ayant laissé des séquelles handicapantes... Mais le statut «d'handicapé» est lourd à porter.Trouver un appart, c'est le parcours du combattant» confie Christophe, 29 ans. «Déjà, il faut avoir une adresse, t'imagines. Siloé a beau nous servir de domiciliation, certains services sociaux bloquent les dossiers en disant qu'on a pas vraiment de domicile. En plus, comme pour la carte Paris Santé, il faut que tu prouves que tu habites Paris depuis trois ans, c'est impossible quand t'es SDF. Puis il faut une déclaration de non imposition.Pour refaire tes papiers, c'est pareil, on te demande une autre pièce d'identité, puis il faut un justificatif de domicile. Comme on a jamais de ticket de métro, on se ramasse des amandes et comme on est sans papiers, on part au poste pour quatre heures. Si le flic est un peu con, il t'envoie à Nanterre dans un lieu où il y a tous les mendiants de Paris. Là bas, tu es lavé au jet. Les foyers sont crads, tu n'as même pas envie de te doucher. Tu es pris pour du bétail, c'est pas humain.Tu es réveillé à 6 heures du mat' même le dimanche alors tu passes la journée dans le métro à glander et tu te reprends une amende. J'en ai pour 36 000 f, le Trésor Public voulait me saisir sur mon RMI. La Caisse d'Allocation familiale a du écrire à la banque.» Paul, 32 ans, dont le bras est tatoué d'une feuille de cannabis, tient un livre de Laborit : «On ne connaît pas les structures d'aide. J'ai découvert Siloé par hasard, en faisant la manche dans le quartier.Les associations t'infantilisent en permanence. Dans certains apparts thérapeutiques, tu es obligé de téléphoner à ton référant pour demander si tu peux recevoir quelqu'un. Ils ne prennent pas en considération qu'on crève de solitude.Puis surtout, il ne faut pas dire que tu prends des produits de substitution sinon, ils te foutent à la porte. Les structures ne sont pas à la page, mais elles seront bien obligées de s'y faire.» Un corps. En souffrance, malmenés, oubliés, négligés, ballottés d'un endroit à l'autre comme les sacs dans une consigne. Les papiers d'identité égarés, revendus, déchirés. «On voit de plus en plus de gens malades, expulsés des hôpitaux. Les soignants partent du principe que si les gens peuvent marcher, ils peuvent sortir. Alors souvent, on se retrouve à faire des pansements... » s'emporte Sylvie Ray. La santé? Bob parle la voix pâteuse : «quand tu es SDF tu es exclu de tous les protocoles d'essais de médicaments anti-sida: ils estiment que tu n'es pas capable de gérer la prise des médicaments. Dans certains services sociaux municipaux, ils ne te serrent même pas la main. Alors, je vais toujours au Centre Europe où on passe en priorité et où les infirmières piquent très bien, même les personnes qui ont des veines très abîmés par les shoots». Alors, entre les tracasseries institutionnelles et les problèmes d'hébergements, on en arrive souvent à des aberrations criminelles : certaines décisions administratives sont tellement lentes que les allocations arrivent après le décès des bénéficiaires... Dans un coin, Karine feuillette une revue, une grande photo de plage avec la mer au fond, bleue : «c'est beau, j'aimerai bien y aller». Les exclus du sida, par Eric Remes, liberation 1995

 

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