Le site de l'écrivain Gay
 

Comportements Gay News décembre 92

 



Depuis dix ans, notre sexualité a fortement évolué et le sexe sans risques demeure le seul moyen d’éviter la contamination. Nous sommes allés enquêter sur les lieux de drague de la capitale, accompagnés d’un volontaire de l’association Aides et d’un psychologue. Si la prise de conscience des risques de contamination connaît un progrès certain, tout commence à se compliquer lorsqu’on observe l’évolution des comportements sexuels. Samedi 22h30, quai d’Austerlitz. Des ombres circulent, le désir à fleur de peau : c’est la grande messe du sexe. Nous abordons les garçons. Ils répondent facilement, protégés par la lune. Nous parlons sexe, tout simplement. Dans l’ensemble, les gays ont adapté et modifié leur sexualité. Les études de Michaël Pollak sur notre sexualité montrent que depuis quelques années, de nouveaux comportements sexuels sont apparus. Certains sont cohérents mais d’autres sont illogiques et à risques. Si bon nombre de gays utilisent systématiquement les préservatifs ou se limitent à la masturbation ou à la fellation, d’autres au contraire prennent ou ne prennent pas de précautions suivant la nature de la relation et l’histoire du partenaire. Beaucoup de gays ont diminué le nombre de leurs partenaires ou sont à la recherche d’une relation stable. Serge, 25 ans : “ma vie sexuelle a considérablement évolué. Avant, lorsque je venais draguer, je me faisais plusieurs mecs à la suite. Maintenant, souvent je ne fais rien. C’est comme une peur diffuse qui est en moi. Le désir que j’ai pour quelqu’un me renvoie toujours à l’idée de la maladie. En fait, je recherche plutôt une relation stable”. Comme l’explique Bruno, volontaire à l’association Aides: “même si la réduction du nombre de partenaires n’est pas fiable, elle réduit le nombre d’expositions au risque”. Mais, on peut se demander en quoi une diminution du nombre de partenaires ou la recherche d’une rela tion stable peut garantir une non-contamination si la pratique du sexe sans risque n’est pas systématique? Et même, en quoi un nombre élevé de partenaires adeptes du safer sexe (sexe sans risque) peut-il faire encourir un risque? Pas besoin d’avoir dix amants par jour pour être contaminé, un seul suffit. Et l’on peut en avoir 100 et ne pas l’être! Les exemples de comportements incohérents sont nombreux. Lorsque l’on est en couple, on ne doit pas se rassurer d’une séronégativité réciproque. Marc, 35 ans : “je suis en couple depuis cinq ans. Au début, nous nous étions jurés fidélité. Nous étions séronégatifs tous les deux. Au bout de six mois de vie commune, nous avons refait le test. Nous étions séronégatifs tous les deux et donc, nous n’avons plus pris de précautions. Nous n’allions pas avec d’autres garçons. Il y a deux ans, on a traversé une très grosse crise. On est allé à droite à gauche. On a fait n’importe quoi . Nous n’avions pas l’habitude des pratiques à moindre risque. Maintenant, nous sommes séropos tous les deux”. Le safer sexe est très difficile à gérer dans une relation amoureuse: l’affectivité, l’intimité et la confiance rend l’usage des préservatifs problématique. Comment dire, ou ne pas dire, à son ami que l’on a pris un risque ou que l’on est séropositif ? De plus, la briéveté observée des couples gays et la succession dans le temps des relations exclusives rend aléatoire la fidélité comme moyen de protection. Pierre, un beau garçon séropo de 30 ans ne pratique pas le sexe sans risque : “je suis porteur du virus depuis 3 ans alors, je me dis que je ne risque plus grand chose. Je baise toujours autant qu’avant. Je ne parle pas de mon statut sérologique avec mes partenaires. J’estime qu’il sont assez grands pour choisir. Pour faire l’amour, nous sommes deux à choisir.”. Ce pose la question de la responsabilité vis à vis de l’autre. Ce n’est pas parce qu’un piéton traverse en dehors des passages protégés qu’on peut se sentir obligé de lui passer dessus. Pierre oubli également la notion de recontamination qui peut provoquer un développement plus rapide de la maladie. Sans parler des autres maladies sexuellement transmissibles comme l’hépatite B ou la siphylis qui sont des co-facteurs aggravants. Pour Hubert Lisandre, psychologue clinicien, “La libido frénétique que l’on rencontre chez les gays peut cacher un certain nombre de questions: son identité, sa sexualité, la mort, etc... La pratique intensive du sexe est un moyen de ne plus se poser ces questions. Si le sexe est vécue comme une drogue, on devient donc aliéné. Le sida fait réapparaitre toutes ces questions en suspend. Il oblige à marquer un temps d’arrêt. La sexualité ne va plus de soi. On se pose la question de la dimension de l’autre”. Beaucoup de gays refusent de parler de leur statut sérologique. Les études de Michaël Pollack montrent que quatre gays sur cinq pensent que pour éviter les discriminations, un séropositif a intérêt à garder son diagnostic secret. Une écrasante majorité (75%) pensent qu’au sein même de la communauté gay, les séropositifs sont en danger de marginalisation. Beaucoup de mecs ont renoncé à certains lieux de drague. C’est dans un bar du Marais de Paris que nous rencontrons Philippe, 28 ans. “Je ne fréquente plus que les bars. Finies les virées nocturnes dans les lieux de drague, les saunas et autres back-rooms. Je me dis qu’en sélectionnant mes partenaires, je prends moins de risque. Je fais aussi attention à l’aspect physique de mes partenaires; qu’ils ne soient pas trop maigres”. Le lieu de rencontre de votre partenaire n’a aucun rapport avec le risque que vous encourez. La capitale n’est pas seule concernée: on est à l’abri nulle part. Le Sida peut s’attraper partout mais pas avec une capote! Pour le volontaire de Aides, “on a toujours tendance à se sentir à l’écart du risque. Le sida est perçu ailleurs.On a tendance à effectuer une distanciation”. Quand à la sélection des partenaires à leur look et à leur aspect physique, nous avons affaire à un énorme contre-sens des années Sida. Un homme BCBG ne vous met pas plus à l’abri qu’un jeune loubard de banlieue. On peut être obèse ou body-buildé et séropo; maigrichon et séronégatif. Inversement, la beauté d’un partenaire, sa “bonne santé apparente” peut déboucher sur une prise de risque: “il est si beau qu’il ne peut être contaminé”! Les signes extérieurs de la maladie ne se voient qu’à un stade très avancé. La séropositivité ne se porte pas sur la figure. Qu’on se le dise! Un autre garçon rencontré : “ca fait au moins cinq ans que je ne pratique plus la sodomie. Je me limite aux branlettes et à la fellation”. Il s’agit alors de renforcer certaines pratiques: fellation sans éjaculation, masturbation réciproque, gadgets, ambiances, lieux insolites, phantasmes, vidéo. Cette limitations des pratiques peut s’accompagner d’un accroissement du nombre de partenaires. Finies les pénétrations sans fins de notre jeunesse? Pourtant, avec une bonne capote, tout reste possible. Alors, pas besoin de se priver. Pour Hubert Lisandre : “l’abstinence et la fidèlité peuvent parfois être vécues dans le registre de culpabilité; comme un sacrifice ou une punition. Cela n’est pas toujours supportable psychologiquement. Dans l’abstinence, il y a la jouissance du sacrifice. Il ne faut pas oublier que dans le fait de réduire le nombre de ses partenaires et de s’en plaindre, il existe un bénéfice psychologique.Tant qu’on confondra la prévention comme comportement rationnel et non comme comportement lié à la sexualité et au désir, on ne pourra faire que des voeux pieux. Quand on parle de prévention, on parle toujours des préservatifs alors que le safer sexe est une porte ouverte sur un enrichissement des pratiques sexuelles. Cela n’est jamais abordé. Sur un plan social et religieux, quand on parle de sexualité, on parle de pénétration et de procréation. Bien que la société soit libérée de nombreux tabous, le fait qu’on puisse prendre du plaisir reste mal accepté. Sur un plan de santé publique, on gagnerait à promouvoir les sexualités alternatives dites “perverse”, c’est à dire qui ne soit pas liée à la procréation. Curieusement, on en entend jamais parler”. Pour beaucoup de garçons que nous avons rencontrés, rien n’est tout à fait comme avant. Chacun suit une logique de gestion du risque qu’il maîtrise plus ou moins bien. Avons nous prit le temps de questionner nos comportements? Comment s’adapte-t-on au safer sexe? pour Bruno de Aides, “il est important de connaitre les limites de ces différentes stratégies de protection et d’adapter son comportement. Le safer sexe est une règle. Et toute règle peut être transgressée. Mais, cette transgression peut faire qu’on assume mieux le safer sexe. C’est vrai que la pratique du safer sexe est une contrainte. Les préservatifs représentent un obstacle là où justement on aimerait ne pas en voir. De plus, il n’y a pas d’accès suffisant aux préservatifs en France. Ils ne sont pas accessibles facilement; ils sont cachés dans les pharmacies; les proviseurs ne les acceptent pas dans les lycées. Comment faire une prévention solide sans avoir les moyens de se protéger? Même dans les établissements gays, il est difficile de créer un réseau de distribution efficace. Il faut déjà faire des efforts pour le SSR et en plus, il est difficile de se fournir en préservatifs. Il n’existe pas de valorisation globale, sociale et culturelle du sexe sans risque. Le safer sexe passerait mieux s’il y avait gratification de ceux qui le pratique”. Il est tentant de négocier ces pratiques en fonction du risque estimé. C’est en diminuant le nombre de nos partenaires, en les sélectionnant, le renoncement à certaines pratiques ou certains lieux de dragues que nous avons cherchons une réponse au Sida. Les comportements fondés sur la seule sélection des partenaires, des lieux de drague sont inéfficaces. Sélection, diminution, limitation. Des termes bien réducteurs et négatifs qui limitent cet espace de liberté qu’est notre sexualité. Des réponses décalées voir incohérentes avec ce que devrait être la sexualité sans risque. A quoi sert la limitation de son espace sexuel si le safer sexe n’est pas systématiquement utilisé? A rien! De plus, cette limitation des pratiques rejoind insidieusement le discours de l’ordre moral. Comme si, à cause du Sida, notre sexualité devait se réduire à peau de chagrin. Pourtant, une pratique permanente du safer sexe et elle seule, protège efficacement du VIH. Les préservatifs demeurent le seul moyen de protéction. Les capotes servent à sodomiser, alors servons-nous en! De plus, le rejet des relations sexuelles par peur du risque peut provoquer d’importantes frustrations qui peuvent exploser un jour et pas forcément de manière safe. Alors, pas de parano inutile! La meilleure protection est d’être clair avec soi-même, responsable avec les autres et d’avoir une sexualité safe et épanouie.

 

www.erikremes.net