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PSYCHOLOGIE DU SADO-MASOCHISME seconde partie

 



Avec les pratiques hards, il est possible d'avoir des sensations fortes sans en passer par la pénétration. Beaucoup de pratiques SM ne font couler ni le sperme ni le sang et évitent donc la transmission des virus, VIH, hépatite. Les règles de safer sexe sont simples: pas d'échange de fluides contaminants (sperme et sang) entre eux (soit directement, soit par l'intermédiaire d'un instrument); pas non plus de contact de ces liquides avec les muqueuses (bouche, anus, vagin, gland) ou avec des écorchures. Des préservatifs sont utilisés pour les pénétrations, des gants pour le fist et du matériel désinfecté avant chaque usage et entre chaque partenaire. D’autres personnes, au contraire, privilégient le contact avec le sang et le sperme, dans des « plans jus». Le contact avec les fluides contaminés provoquant une forte excitation. Ces pratiques sont hautement à risques.

Henri que nous avons rencontré dans une soirée parisienne annonce « avant, je croyais que les plans bougies, le fouet, le fist et tout le toutim, c'était des jeux d'abrutis, pour de gens tarés, bons pour le psy. Depuis, grâce à mon cochonout de mari, j'ai découvert le SM. Pour moi, les rapports hards, c’est : "Je sens, donc je suis." Ce n'est pas forcément sexuel, c'est plutôt sensuel, c'est quelque chose dans la tête, pas dans le sexe. En fait, je dirais que je masturbe mon ego avec le SM. À la fin d'un plan, je me réjouis d'être allé à un point que je ne m'imaginais pas pouvoir atteindre, d'avoir éprouvé autant de plaisir, de me sentir aussi forte ».

Ouverture de nouveaux bars cuirs et échangistes, de sex-shops, renouveau des back room (chambre noire), «soirée SM» : les scènes cuirs hétéros et gays connaîssent un sacré engouement depuis la fin du XXème siècle. Le SM est devenu un phénomène de mode. Il se démocratise et se surmédiatise tant à la télé que dans la presse écrite. Bien des fantasmes circulent au sujet du SM et du monde cuir. Pourtant, comme le disent les hardeurs, ces pratiques sont avant tout des expériences librement consenties entre deux ou plusieurs partenaires. Ce plaisir, très «cérébral», n'a rien à voir avec une agression ni un viol mais relève plutôt de la découverte de sa sexualité. La plaquette de prévention «Hard ok, safe ok» produite par l'Agence Française de lutte contre le sida et que j’ai co-écrite avec l'ASMF (association gay sado-maso) en 1992, fixe les règles du jeu: « Nous aimons les relations hards, mais pas la brutalité gratuite. C'est dans le respect de nos partenaires, de leurs désirs, des nôtres et de nous-même que nous vivons cette recherche du plaisir. Il y a des règles et des codes à respecter que nous avons établis : quand l'un dit «stop», l'autre arrête tout ». Pour les personnes SM, la confiance est donc un préalable qui permet de se laisser aller et se donner.

Le cheminement dans le SM est un peu un parcours initiatique ponctué de pratiques diverses et variées. Ou l’on découvre à chaque partenaire, de nouvelles techniques de jeu : uro, crad, baston, etc... Pour les hardeurs, il est fascinant de voir qu'on peut aller aussi loin avec sa sexualité. Les SM sont des aventuriers du sexe, qui aiment dépasser leurs limites et les interdits. Cela agrandit leur liberté et, par ricochet, celles des autres. Mais bon, être hard, n'empêche pas de continuer à avoir des rapports tout ce qu'il y a de classique. Le SM est un plus dans leur sexualité. Pour Sandrine, le SM « me permet d’oublier mes belles manières, tout cet endoctrinement pédagogique, de toujours bien se comporter. On sort des relations sociales habituelles, ou il faut être aimable, affable, à table. On exprime enfin des sentiments inhabituels, comme la colère, le pouvoir ou la peur. Le SM est la sublimation de mes peurs et de mes tabou. C’est un outil de libéralisation personnel et l’expression de mes angoisses sexuelles. En exhibant mes angoisses, je deviens capable de les surmonter. Les jeux de rôle me permettent de changer de personnalité, de changer de genre, mes fonctions habituelles, de renverser les emplois ». Pour Sophie, maîtresse, « le SM, c'est se donner le droit d'être pur et ultime, de jouer encore, à l'âge adulte, de se déguiser comme on veut, en flic, en sirène de latex, d'être à la fois une autre et soi-même, supérieurement soi-même, et s'offrir des moments où, comme quand on a sept ans, tout est possible, où on ne se refuse rien. Le SM, c'est peut-être une forme sophistiquée, parfaite de l'amour, parce qu'on choisit de vivre une histoire qu'on met en scène, qu'on verbalise, qu'on extériorise, qu'on sort de sa pente naturelle : on travaille, on cherche, on imagine ; on ne peut pas se reposer sur les lauriers lénifiants du quotidien ».

Freud (Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, 1987) a souligné dès le début du XXe siècle le rôle cruciale du sadomasochisme dans l’organisation psychique : le masochisme est une des composantes majeures de notre vie sexuelle, économique et politique. « Le sadisme correspondrait alors à une composante agressive de la pulsion sexuelle devenue autonome, hypertrophiée et propulsée par déplacement en position principale ». Le sadomasochisme est également un des paradigme du sentiment religieux qui veut que la vie ne soit que souffrance. Il faut noter ici que de nombreux couples, même s’ils ne font pas montre de violences physiques, vivent dans des rapports psychologiques sadomasochistes. L’expression symbolique de cette violence leur permettrait de sublimer leur agressivité et de déjouer les pièges que leur tendent leurs névroses réciproques.

Les rapports sadomasochistes sont extrêmement profonds, complexes et ritualisés. La discipline est une attitude à tenir durant les jeux de soumission-domination. Elle constitue l’ensemble de règles à respecter dans le cadre de ce jeu. Au manquement à la discipline correspond la punition déterminée en fonction de la gravité de la faute. Pour Richard, qui fréquente la scène cuir hétéro, « le SM t'apprend ton corps, ses limites, et surtout te permet petit à petit de te de libérer, de te transcender. Il t'apprend à intégrer tes pulsions, te rend complet et te fait t'assumer tel que tu es. Il te désinhibe totalement des contraintes de la norme physique et sociale. En fait, tu te retrouves détaché de la société, tu l'observes et tu respectes ses craintes et ses peurs vis-à-vis de toi. Tu peux enfin dire que tu aimes ou n'aimes pas telle ou telle pratique sans chercher la fausse excuse du "J'aurais l'impression de trahir (de ne pas respecter) mon partenaire si je faisais cela avec lui". C'est le jeu permanent, la connivence, la complicité, celle qui te permet de triquer sur un simple mot, un regard de ton partenaire, même dans une assemblée non avertie. C'est l'invincibilité, ce qui te place en position privilégiée ». Pour Sandrine, soumise, « le SM est un échange, une relation de confiance. Mais enfin, on parle de SM pour donner un nom au bébé : est-ce que c'est sadique (ou masochiste) de donner du plaisir à quelqu'un ? C'est comme un ecstasy sans ecstasy. Pas besoin de drogue pour te mettre dans un état supérieur à toi-même, c'est toi qui fabriques ta drogue avec les endorphines. Tu te sens plus fort, tu vis plus vite, tu te donnes dans un esprit ouvert. Et si tu vis une relation SM au quotidien, tu peux avoir également des rapports tout à fait "ordinaires" avec ton partenaire. Dans ce genre de relation, tu es plus pur, tu comprends beaucoup mieux ta vie parce que tu te retrouves dans des situations de transe, de "transe-lucidité". Tu es subjugué, envoûté, c'est quelque chose de mystique qui se passe ».

Ces jeux de rôle accentuent considérablement les sensations et renforcent les liens qui unissent les deux partenaires. Les jeux SM lèvent les inhibitions. Les rapports sadomasochistes permettent de transférer son désir sur celui de son maître qui ordonne ses propres désirs. La domination peut s’exercer par la douleur physique ou mentale et les menaces. On la produit à l’aide de gènes, d’humiliation ou de restrictions. La soumission, encore plus que la douleur, crée un état euphorique. Pour le Dictionnaire des fantasmes, « la domination permet souvent de restaurer un sentiment de sécurité et l’estime de soi d’une personne angoissée. L’abdication temporaire de toute responsabilité, de toute volonté, - et même de la maîtrise de ses propres fonctions naturelles - permet sans aucun doute d’accéder à un autre niveau de conscience. S’il est stimulé par les effets libérateurs de la pulsion sexuelle, ce renoncement absolu peut être un puissant instrument de réalisation de soi. Ceux qui éprouvent un sentiment de culpabilité associé à leur comportement sexuel se sentent délivrés par la soumission, puisqu’ils ne sont pas responsables de leurs actes. La soumission complète est, pour certains, le moyen d’exprimer leur amour. Il arrive que le jeu soit une extrapolation de la réalité. Celui qui se sent infériorisé dans son travail pourra soit rejouer cet état, soit le contredire en devenant dominant. Le jeu sexuel permet alors de pallier une souffrance quotidienne ».

Le SM nécessité d’avoir une totale confiance en son partenaire. Les relations SM peuvent redonner confiance en soi. Et surtout, dans nos sociétés ou le contrôle de soi est un impératif trop lourd à porter, les rapports SM permettent de s’abandonner, de s’oublier et de lâcher prise avec sa conscience pour retrouver, le temps d’un fantasme, l’insouciante paix de l’animal. Charles, avocat soumis s’emporte, « un maître ne peut être bon que s'il a été aussi soumis. Dans un cadre défini, et à respecter, ça peut donner une relation très harmonieuse, avec beaucoup de plaisir. La première fois que j'ai été dominé par Lucie, je n'ai pas compris ce qui m'arrivait. Dans ses yeux, j'ai vu une confiance que je n'ai jamais retrouvée ailleurs ; je savais que je pouvais me laisser aller jusqu'à un point inimaginable, et ça m'a fait trembler, jouir, j'étais sur un nuage. C'était très excitant parce que c'était en public, il y avait l'odeur du cuir, de l'alcool, des cigarettes, son regard sur moi, sa voix, je sentais autour de moi les gens qui comprenaient, qui me disaient : "Vas-y, tu peux aller plus loin...", et ça, c'était génial. Je n'ai senti que le bien, pas la douleur ».

En pratique :

BerlinTintin chez les Sado-Maso

Initiation. Une cave voûtée du XVIIe siècle à Paris, une centaine de mecs vêtus de cuir, chap’s, chaînes et harnais. C’est la soirée de la St Sébastien de l’ASMF, l’association gay sado-maso Française. Jean-Marc, le Vice-Président, m’a demandé d’être le Saint Sébastien de la soirée. Je suis donc à poil sur la scène, bondé et faussement percé de mille flèches, à faire la potiche hard. Ce soir, nous, les nouveaux venus du groupe, sommes intronisés. C’est un rituel de type maçonnique avec protocole gothique et tout le tralala : le parrain présente son filleul cagoulé à l’assemblée. Agenouillé sur une règle de métal je signe le Livre d’or et lis la chartre de l’association à voix haute : je m’engage à faire la démonstration d’amitié et de solidarité envers les autres membres. Faire preuve de discrétion en ce qui concèrne la vie interne de l’association et la vie privé de ses membres. Je m’engage à respecter les valeurs du groupe : solidarité, respect, confidentialité. Je me déclare fier d’appartenir à l’ASMF et d’en porter les insignes. Je la défendrai contre toute attaque. Jean-Marc mon parrain me présente ensuite à l’assemblée et se porte garant de ma bonne conduite. C’est très-très intimidant !

Moi je suis plutôt branché par les pratiques hards : fist, plans uro, bastons, crads, fessées, bondage, le branding, aiguilles, etc. Mais beaucoup de mecs de l’ASMF ont des trips beaucoup plus cérébraux ou fétichistes : jeux de rôle, soumission-domination, voyeur-exibhitionniste, latex, cuissardes, cagoules, bottes, etc. Des actes librement consenties avec nos partenaires. Une jouissance, souvent très cérébral, qui n’a rien à voir avec une agression ni un viol mais relève plutôt de la découverte de sa sexualité et de soi. De sa libération. J’aime les relations hards, mais pas la brutalité gratuite. C’est dans le respect de mes partenaires, de leurs désirs, des miens et de moi-même que je vis cette recherche du plaisir. Il y a des règles et des codes à respecter que nous avons établi : quand l’un dit stop, l’autre arrête tout. La confiance est un préalable qui permet de se laisser aller et de se donner.

Quand j’ai commencé à fréquenter le milieu cuir, à la fin des années quatre-vingt les choses sont allées remarquablement vite. À chaque partenaire, je découvrais de nouvelles techniques de jeu. J’étais fasciné de voir qu’on pouvait aller aussi loin avec sa sexualité. Au début, j’étais plutôt Dominateur et donneur. Petit à petit, j’ai appris à me laisser aller, à me donner à mon partenaire. Le fait que je me donne — que je veuille bien me donner — fait que je possède aussi le dominateur. Même soumis, je continue à être actif. C’est sur ce point que j’ai vraiment évolué, travaillé, grandi. Ca agrandit ma Liberté et, par ricochet, celles des autres. Mais bon, être hard, ça ne m’empêche pas de continuer à avoir des rapports tout ce qu’il y a de classique, à la papa-maman. Je n’aime rien de plus qu’un bon câlin, des caresses et de bonnes sodomies : je suis la Toute Pénétrative. Le SM est un plus dans ma sexualité. «

Extrait de Je bande donc je suis, , Balland 1999.

 

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